Louise effleurait tout et ne jouissait de rien. Seule, la contemplation de
dom Pedro la ravissait; sans lui, tout était mort; avec lui, tout était vie,
et vie souriante et belle!
Et pourtant elle était inquiète; Mathilde le voyait trop souvent,
n'allait-elle pas l'accaparer? Le pacifique baron ne voulait point le
recevoir assez; c'était toujours sur moi qu'elle déversait le trop-plein de
son coeur; j'essayais de calmer moral et physique, mais, comme chez
toute personne déséquilibrée, le moral subissait trop les influences
nerveuses, et semblait diriger sa santé même; depuis quelque temps,
elle maigrissait et pâlissait d'une façon inquiétante; je me hasardai à lui
en faire la remarque.
--Oh! ma pauvre Jeanne, me dit-elle, je crois que dom Pedro m'aime
moins! Il parle de faire un voyage chez lui, en Portugal, où il a de
grands intérêts. Autrefois, il n'eût pas admis l'idée d'une séparation
aussi longue, pour n'importe quels intérêts!
--Tu ne peux pourtant pas exiger qu'il laisse toute sa fortune dépérir, et
se réduise à la mendicité pour te plaire? Pourras-tu le nourrir alors?...
--Ne ris pas, je souffre!
--C'est ta faute!
--Non, de grâce, ne parle pas ainsi, je tiens à ton estime!
--Tu n'en as pas l'air!
--Alors, tu me compares à ces filles, qui roulent de honte en honte?
--Quelle exagération! Je ne te compare pas, je te prends pour une
femme qui a oublié ses devoirs et...
--Et quoi?...
--Et je le regrette.
--Si tu savais quel grand coeur, quel attachement profond il a pour moi,
quel dévouement absolu!...
--Et encore quoi?
--Et combien je l'aime!
--Allons donc! Ce mot-là, vois-tu, résume à lui seul cet attachement si
profond, ce dévouement si sincère. Oh! ma chère Louise, je ne te
croyais pas si naïve! Est-ce que toutes les femmes abandonnées par leur
amant n'ont pas tenu auparavant ce même langage?... Pourquoi veux-tu
qu'il soit...
--Jeanne, reprit-elle vivement, tu sais quelque chose? Tu es chargée de
me prévenir?
--Oh! non!
--N'achève pas. Si dom Pedro ne m'aimait plus, j'en mourrais!
--Mais puisque je te dis qu'il ne m'a pas parlé?... Mais non!
--Tu dis faiblement ce non. Tu vois, sans doute, que tu as parlé trop
brutalement et tu veux me laisser un instant d'espoir!
--Je t'affirme...
--Oh! Jeanne, c'est mal d'avoir accepté cette mission-là!
--M'écouteras-tu enfin, Louise? Puisque je t'affirme que je n'ai pas vu
dom Pedro. Et d'ailleurs si jamais il me faisait une allusion quelconque
sur toi, il ne repasserait jamais le seuil de ma porte!
--Vois-tu, ne me dis rien contre lui, j'aime mieux que tu ne m'en parles
pas.
--Bon! c'est toi qui as commencé! Tu sais bien pourtant à quel degré il
m'est... peu sympathique?
--Tu as tort, si tu voulais le recevoir davantage, tu saurais l'apprécier, et
tu verrais!
--Quel coeur, quel dévouement profond, etc... Connu!
Et cela finissait toujours par des larmes; j'étais obligée de la consoler,
de la remonter, je trouvais à dom Pedro toutes les qualités qu'elle
voulait; pourtant je ne pouvais approuver sa conduite, «pauvre petite»,
et je me reprochais d'avoir la faiblesse de ne pas lui dire qu'il était un
monstre!...
VI
Je n'ai jamais très bien compris pourquoi Louise tenait tant à une
approbation de ma part? Quel changement cela eût-il apporté dans sa
vie? Ce qui empoisonnait son existence, était de ne pouvoir légitimer
son coupable amour. C'est que c'était une nature profondément honnête
que la sienne, et j'étais convaincue qu'elle n'avait dû céder qu'à
contre-coeur.
Je ne me trompais pas, car un jour il lui vint à l'idée de me raconter la
persistance de dom Pedro à la poursuivre, combien elle avait résisté
longtemps, puis enfin, ayant cru à un amour unique, à un coeur neuf
comme le sien, comme elle s'était attachée à cet homme, prise par un
attrait irrésistible, un sentiment qui lui avait été inconnu jusqu'alors,
qu'on l'appelle amour, ou d'un autre nom. Ce qu'il y a de certain, c'est
qu'elle s'était livrée, abandonnée complètement; elle était devenue _la
chose_ de dom Pedro. Ce mot qu'elle avait employée en se révoltant
contre son mari, elle s'en rassasiait à présent en l'appliquant à celui-ci:
«Oui, disait-elle, ma joie est d'être la chose de dom Pedro!»
Cet attachement que je soupçonnais à peine, quand Louise m'en fit
l'aveu, durait depuis plusieurs années déjà. Pour elle, c'était devenu
comme un besoin impérieux, sa vie tout entière était là, tandis que,
pour lui, ce n'était plus qu'une lourde chaîne. Cependant, comprenant
les ravages qu'il avait faits dans ce pauvre coeur si franc, il avait, au
moins, la pudeur de lui laisser croire à une affection réelle.
Louise avait le respect de sa mère et, pour rien au monde, elle n'aurait
voulu lui faire la triste confidence que j'avais reçue. Ce n'était pas un
des côtés les moins douloureux de cette singulière existence, car je
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