reconnaissance que le
vieillard avait d'abord vouée à son sauveur.
Arnold était simple et bon, il parlait avec un goût et un savoir infini des
grands peintres, objet de l'admiration passionnée du graveur qui avait
employé une partie de sa vie à reproduire sur le cuivre les plus belles
oeuvres de Raphaël, du Vinci et du Titien; il avait montré à Arnold ces
travaux de sa jeunesse et de son âge mûr; Arnold les avait appréciés en
connaisseur et en habile artiste.
Ses louanges ne décelaient pas le complaisant ou le flatteur; modérées,
justes, éclairées, elles en étaient plus précieuses à Pierre Raimond, qui
avait la conscience de son art; comme les artistes sérieux et modestes, il
connaissait mieux que personne le fort et le faible de ses ouvrages. Ce
n'était pas tout: Arnold semblait par ses opinions politiques appartenir à
ce parti exalté de la jeune Allemagne, qui offre beaucoup d'analogie
avec certaines nuances de l'école républicaine.
Grâce à ses nombreux points de contact, la récente intimité de Pierre
Raimond et d'Arnold se resserrait chaque jour davantage. Ce dernier
était de bonne foi, il ressentait véritablement de l'attrait pour ce rude et
austère vieillard, qui conservait dans toute leur ardeur les admirations et
les idées de sa jeunesse.
M. de Hansfeld était d'une excessive timidité; les obligations de son
rang lui pesaient tellement que, pour leur échapper, il avait affecté les
plus grandes excentricités. Ses goûts, ses penchants se portaient à une
vie simple, obscure, paisiblement occupée d'arts et de théories sociales.
Aussi, même en l'absence de Berthe, il trouvait dans les deux pauvres
chambres de Pierre Raimond plus de plaisir, de bonheur, de
contentement qu'il n'en avait trouvé jusqu'alors dans tous ses palais.
S'il avait seulement voulu dissimuler ses assiduités auprès de Berthe
sous de trompeuses prévenances envers le graveur, celui-ci avait trop
l'instinct du vrai pour ne pas s'en être aperçu, et trop de rigide fierté
pour ne pas fermer sa porte à Arnold.
Pierre Raimond n'ignorait pas que son jeune ami trouvait Berthe
charmante, et qu'il admirait autant son talent d'artiste que la candeur de
son caractère, que la grâce de son esprit.
Dans son orgueil paternel, loin de s'alarmer, Pierre Raimond se
réjouissait de cette admiration. N'avait-il pas une confiance aveugle
dans les principes de Berthe? Ne devait-il pas la vie à Arnold?
Comment supposer que ce jeune homme au coeur noble, aux idées
généreuses, abuserait indignement des relations que la reconnaissance
avait établies entre lui et l'homme qu'il avait sauvé.
Aux yeux de Pierre Raimond, cela eût été plus infâme encore que de
déshonorer la fille de son bienfaiteur.
Enfin, Arnold avait dit appartenir au peuple, et, dans l'exagération de
ses idées absolues, Pierre Raimond lui accordait une confiance qu'il
n'eût jamais accordée au prince de Hansfeld.
Berthe, d'abord attirée vers Arnold par la reconnaissance, avait peu à
peu subi l'influence de cet être bon et charmant. Il assistait souvent, en
présence du vieux graveur, aux leçons de musique de Berthe; il était
lui-même excellent musicien, et quelquefois Berthe l'écoutait avec
autant d'intérêt que de plaisir parler savamment d'un art qu'elle adorait,
raconter la vie des grands compositeurs d'Allemagne, et lui exposer,
pour ainsi dire, la poétique de leurs oeuvres et en faire ressortir les
innombrables beautés.
Que de douces heures ainsi passées entre Berthe, Arnold et Pierre
Raimond! Celui-ci ne savait pas la musique; mais son jeune ami lui
traduisait, lui expliquait pour ainsi dire la pensée musicale des grands
maîtres, l'analysant phrase par phrase, et faisant pour l'oeuvre de
Mozart, de Beethoven, de Gluck, ce qu'Hoffmann a si
merveilleusement fait pour Don Juan.
Berthe, profondément touchée des soins d'Arnold pour Pierre Raimond,
leur attribuait à eux seuls la vive sympathie qui, chaque jour, la
rapprochait davantage du prince. Celui-ci était d'autant plus dangereux
qu'il était plus sincère et plus naturel; rien dans son langage, dans ses
manières, ne pouvait avertir madame de Brévannes du péril qu'elle
courait.
La conduite d'Arnold était un aveu continuel, il n'avait pas besoin de
dire un mot d'amour; si par hasard il se trouvait seul avec Berthe, son
regard, son accent étaient les mêmes qu'en présence du graveur.
Celui-ci rentrait-il, Arnold pouvait toujours finir la phrase qu'il avait
commencée.
Comment madame de Brévannes se serait-elle défiée de ces relations si
pures et si paisibles? Jamais Arnold ne lui avait dit: Je vous aime;
jamais elle n'avait un moment songé qu'elle pût l'aimer, et déjà ils
étaient tous deux sous le charme irrésistible de l'amour.
Nous le répétons, par un singulier hasard, ces trois personnes, sincères
dans leurs affections, sans défiance et sans arrière-pensée, s'aimaient:
Arnold aimait tendrement le vieillard et sa fille, ceux-ci lui rendaient
vivement cette affection; tous trois enfin se trouvaient si heureux, que
par une sorte d'instinct conservatif du bonheur, ils n'avaient jamais
songé à analyser leur
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