Paula Monti, Tome I | Page 8

Eugène Süe
qui ait pu vous dire ce qui s'était passé à Venise, il y a trois ans, dans la nuit du 13 avril!
--Il y a trois ans? à Venise?... dans la nuit du 13 avril?--répéta machinalement M. de Morville de plus en plus étonné.--Sur l'honneur, madame, il n'est pas question de cela.... De grace, pas un mot de plus.... Je serais désolé de surprendre une grave confidence.... Encore une fois, madame, je vous le jure sur l'honneur; le motif qui m'oblige à vous éviter n'a aucun rapport avec les noms, les dates et les lieux que vous venez de citer.... Ce motif n'a rien qui puisse altérer la profonde, la sincère admiration que je porte à votre caractère.... En évitant de vous voir, madame, j'accomplis une sainte promesse... j'obéis à un devoir sacré....
--Grand Dieu!.. qu'ai-je dit!...--s'écria madame de Hansfeld en cachant sa tête dans ses mains et en songeant à la demi-révélation qu'elle avait involontairement faite à M. de Morville.--Non... non... ce n'est pas un piège indigne!
Puis, s'adressant à M. de Morville:
--Je vous crois, monsieur, par un rapprochement, par un quiproquo étrange, lorsque j'ai su que vous aviez une puissante raison de me fuir, j'ai cru qu'il s'agissait d'une triste... bien triste circonstance dans laquelle à des yeux prévenus je pourrais para?tre avoir joué un r?le indigne de moi et mériter même l'aversion que vous me témoigniez.... Votre serment me rassure... je m'étais trompée.... Rien sans doute n'a transpiré de cette funeste aventure. Maintenant, monsieur, cet entretien n'a plus de but... j'étais venue ici pour vous faire conna?tre les suites funestes que pouvait avoir l'indiscrétion que je redoutais.... Heureusement mes craintes étaient vaines. Maintenant, peu m'importe que l'on remarque ou non que vous évitez toutes les occasions de me rencontrer; quant à la cause qui vous obligea me fuir, elle m'est indifférente.... Adieu, monsieur... vous êtes homme d'honneur, je ne doute pas de votre discrétion.
Et madame de Hansfeld fit un mouvement pour sortir.
M. de Morville l'arrêta respectueusement par la main:
--Un mot encore, madame... jamais, sans doute, je ne me retrouverai seul avec vous.... Sachez au moins une partie de mon secret. Alors vous me plaindrez peut-être... oui... car vous saurez qu'il me faut une grande résolution pour vous fuir, madame.... Lorsqu'un sentiment contraire à la haine.... Oh! ne prenez pas ceci pour une parole de galanterie.... De grace, écoutez-moi.
Madame de Hansfeld, qui s'était levée, se rassit, et écouta en silence M. de Morville.
* * * * *

CHAPITRE V.
L'AVEU.
--Lors de votre arrivée à Paris, madame--dit M. de Morville à madame de Hansfeld--avant d'aller occuper l'h?tel Lambert, vous avez habité pendant quelque temps rue Saint-Guillaume; vous ignoriez sans doute que la maison de ma mère était voisine de la v?tre?
--Je l'ignorais, monsieur.
--Permettez-moi d'entrer dans quelques détails, peut-être puérils, mais indispensables.... Dans la maison de ma mère, une petite croisée, haute, étroite, presque entièrement cachée par les rameaux d'un lierre immense, s'ouvrait sur votre jardin.... C'est de là que je vous aper?us par hasard et à votre insu, madame, car vous deviez croire que personne au monde ne pouvait voir dans l'allée couverte et reculée où vous vous promeniez habituellement.
Madame de Hansfeld parut rassembler ses souvenirs, et dit:
--En effet, monsieur, je me souviens de ce mur tapissé de lierre; j'ignorais qu'une fenêtre y f?t cachée.
--Pardonnez-moi l'indiscrétion que je commis alors, madame; elle devait m'être funeste....
--Expliquez-vous, monsieur.
--Retenu auprès de ma mère souffrante, je sortais fort peu; mon seul plaisir était de me mettre à cette croisée; l'espérance de vous voir me retenait de longues heures derrière le rideau de lierre.... Enfin arrivait le moment de votre promenade; vous marchiez tant?t à pas lents... tant?t à pas précipités... souvent vous tombiez comme accablée sur un banc de marbre, où vous restiez longtemps le front caché dans vos mains.... Hélas! que de fois, lorsque vous releviez la tête après ces longues méditations, je vis votre visage baigné de larmes.
A ce souvenir, M. de Morville ne put vaincre l'émotion de sa voix.
Madame de Hansfeld lui dit sèchement:
--Il ne s'agit pas, monsieur, d'impressions plus ou moins fugitives que vous avez pu indiscrètement surprendre, mais d'un secret dont vous croyez devoir m'instruire.
M. de Morville regarda tristement madame de Hansfeld, et continua:
--Au bout de quelques jours... pardonnez ma présomption, madame, je crus deviner le motif... de votre chagrin....
--Vous êtes pénétrant, monsieur.
--Je souffrais alors d'une peine pareille à celle que vous me sembliez éprouver... je le pense du moins. Voilà le secret de ma pénétration.
--Monsieur, je ne puis croire que vous parliez sérieusement.. et une plaisanterie serait déplacée....
--Je parle sérieusement, madame.
--Ainsi, monsieur--dit madame de Hansfeld avec un sourire moqueur--vous me supposez des chagrins, et vous prétendez en savoir la cause!
--Il est des sympt?mes qui ne trompent pas.
--L'expression de toutes les douleurs est la même, monsieur.
--Ah! madame, il n'y a qu'une manière de pleurer un objet aimé!...
--Est-ce une confidence, monsieur? une allusion à
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