Paula Monti, Tome I | Page 7

Eugène Süe
du rayonnement de ce regard scintillant comme une étoile dans les ténèbres, le reste de la physionomie de madame de Hansfeld était impassible.
La princesse dit à M. de Morville d'une voix male et grave:
--Je confie sans crainte le secret de cette entrevue à votre honneur, monsieur....
--Je serai digne de votre confiance, madame.
--Je le sais, j'ai eu besoin de cette certitude pour risquer une démarche... qu'à votre insu... vous avez provoquée....
--Moi, madame?...
--Vos procédés seuls me forcent de venir ici, monsieur.
--Madame, expliquez-vous? de grace.
--Il y a environ deux mois, monsieur, vous aviez prié madame de Lormoy votre tante, que je vois assez fréquemment, de vous présenter à moi; j'avais accédé à sa demande. Quelque jours après, vous avez annoncé à madame de Lormoy que vous ne pouviez plus vous résoudre à cette présentation.
M. de Morville baissa la tête et répondit:
--Cela est vrai, madame.
--De ce moment, monsieur, vous avez affecté de fuir tous les endroits où vous pouviez me rencontrer....
--Je ne le nie pas, madame--répondit tristement M. de Morville.
Madame de Hansfeld reprit:
--Ainsi il y a quelque temps, ignorant que madame de Senneterre m'avait donné une place dans sa loge, vous y êtes venu; au bout d'un quart d'heure vous êtes sorti sous un vain prétexte qui n'a trompé personne....
--Cela est encore vrai, madame.
--Enfin, madame de Sémur vous ayant invité, ainsi qu'un très petit nombre de personnes, à une lecture intéressante que vous désiriez beaucoup d'entendre, vous avez accepté avec un vif plaisir. Mais madame de Sémur ayant ajouté que j'assisterais à cette réunion, vous n'y avez pas paru.
--Cela est encore vrai, madame.
--Enfin, monsieur, vous avez mis à m'éviter, une telle persistance, je devrais dire une telle affectation, qu'elle a été remarquée par bien d'autres que par moi.
--Madame... croyez....
--On vante, monsieur, la loyauté de votre caractère, on cite votre parfaite urbanité; il vous faut donc de sérieux motifs pour afficher à mon égard des procédés si étranges.... Je me hate de vous dire qu'ils m'eussent été très indifférents... sans une circonstance dont je dois vous entretenir....
--Madame, je sais combien ma conduite doit vous para?tre bizarre, grossière, pourtant....
Madame de Hansfeld interrompit M. de Morville, avec un sourire amer:
--Encore une fois, monsieur, je ne vous ai pas demandé ce rendez-vous pour me plaindre de votre éloignement.... J'ai lieu de croire que votre résolution de m'éviter est dictée par des motifs si graves... que s'ils étaient pénétrés, le repos... la vie peut-être de deux personnes seraient compromis.
Et la princesse jeta un regard per?ant sur M. de Morville.
Celui-ci répondit en rougissant:
--Je vous assure, madame, que si vous saviez....
--Je sais, monsieur--dit vivement la princesse--qu'il y a un secret entre vous et moi.... Vous avez appris ce secret dans l'intervalle du jour où vous aviez demandé à m'être présenté, et le jour fixé pour cette présentation... de ce moment a daté votre résolution de m'éviter.... Vous êtes homme d'honneur... dites-moi si je me trompe... jurez-moi que vous n'avez eu aucun motif de manifester l'éloignement dont je vous parle, jurez-moi que cet éloignement a été causé par le hasard, le caprice... je vous croirai, monsieur... et dès lors, grace à Dieu! cet entretien n'aura plus de but.
Après quelques moments d'hésitation pénible, M. de Morville parut prendre un parti violent et dit:
--Je ne puis pas mentir, madame, eh bien! oui... un secret des plus graves!...
--Il suffit, monsieur--s'écria madame de Hansfeld, interrompant M. de Morville:--je ne m'étais pas trompée, vous possédez un secret que je ne croyais connu que de deux personnes... je croyais l'une d'elles morte... l'autre avait le plus puissant intérêt à garder le silence, car il s'agissait de son déshonneur.... Aussi me suis-je décidée à vous demander cette entrevue, ne pouvant vous recevoir... et n'ayant maintenant aucune chance de vous rencontrer dans le monde.... Peu m'importe l'opinion que vous avez d? concevoir de moi après la révélation qu'on vous a faite; vos fréquents témoignages d'aversion me prouvent que cette opinion est horrible; cela doit être.... Dieu sera mon juge.... Mais il ne s'agit pas de cela--reprit la princesse;--vous ignorez peut-être, monsieur, de quelle terrible importance est le secret que l'on vous a confié ou que vous avez surpris. Osorio... n'est donc pas mort? Il est donc vrai qu'il n'a pas péri à Alexandrie, ainsi qu'on l'avait cru d'abord? Répondez, monsieur, de grace, répondez.... S'il en était ainsi, bien des mystères me seraient expliqués....
--Osorio?... je n'ai jamais entendu prononcer ce nom, madame....
--C'est donc M. de Brévannes?...--s'écria la princesse involontairement.
M. de Morville regarda madame de Hansfeld avec une surprise croissante, depuis quelques minutes il ne la comprenait plus.
--Je connais à peine M. de Brévannes, j'ignore s'il est à Paris en ce moment... madame.
Pour la première fois, depuis le commencement de cet entretien, madame de Hansfeld sortit de son calme feint ou naturel. Elle se leva brusquement, son pale visage devint pourpre, elle s'écria:
--Il n'y a au monde qu'Osorio ou M. de Brévannes
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