vos regrets amoureux?
--Hélas! madame, je n'ai plus de regrets, vous m'avez fait oublier le passé....
--Je ne vous comprends pas, monsieur... il s'agit d'un secret dont vous jugiez à propos de m'instruire, et jusqu'à présent....
--Encore un mot, madame. Un sentiment profond, que j'avais cru inaltérable, un souvenir bien cher, s'effa?ait peu à peu et malgré moi de mon coeur; en vain je maudissais ma faiblesse, en vain je prévoyais les peines que me causerait cet amour; le charme était trop puissant... j'y cédai.... Je n'eus plus qu'une pensée, qu'un désir, qu'un bonheur... vous voir.... A force de contempler vos traits, je crus lire sur votre physionomie, tant?t rêveuse, mélancolique ou désolée, ce désespoir tour à tour morne et violent que cause l'absence ou la perte de ceux que nous aimons....
Madame de Hansfeld tressaillit, mais resta muette.
--Hélas! madame, je vous le répète, j'avais moi-même trop souffert pour ne pas reconna?tre les mêmes souffrances chez vous, à certains signes indéfinissables, et pourtant sensibles. Avec quelle triste curiosité je tachais de surprendre vos moindres pensées sur votre visage! La partie du jardin qui vous plaisait davantage était séparée du reste de l'habitation par une grille que vous ouvriez et refermiez vous-même... vous seule entriez dans cette allée réservée; je risquai une folie... qui du moins ne pouvait être dangereuse: chaque jour je jetai au pied du banc où vous aviez coutume de vous asseoir une sorte de mémento des pensées qui, selon moi, avaient d? vous agiter la veille. Comment vous exprimer mes angoisses la première fois que je vous vis prendre une de ces lettres. Jamais je n'oublierai l'expression de surprise qui se peignit sur vos traits après avoir lu.... Pardonnez aux rêveries d'un fou.... Mais je ne vous crus pas irritée d'être ainsi devinée; car, au lieu de déchirer cette lettre, vous l'avez gardée. Un jour votre agitation était si grande que vous ne v?tes pas ma lettre.... Vous sembliez transportée de colère et de douleur.... Mon instinct me dit que ce chagrin n'était pas nouveau. Il me sembla qu'on devait avoir réveillé en vous un funeste souvenir.... Je vous écrivis en ce sens, et, le lendemain, en lisant ma lettre vos larmes coulèrent.
Madame de Hansfeld fit un mouvement.
--Oh! madame, ne me reprochez pas de m'appesantir sur ces souvenirs; ils sont ma seule consolation.... Ainsi, encouragé par la curiosité avec laquelle vous sembliez attendre ces billets, j'écrivis chaque jour. Malheureusement l'état de ma mère devint alarmant; pendant deux nuits je ne quittai pas son chevet... je ne songeai qu'à elle. Son danger diminua; mes inquiétudes se calmèrent: ma première pensée fut de courir à ma précieuse fenêtre.... Peu de temps après vous entriez dans l'allée; j'en crus à peine mes yeux lorsque je vous vis courir légèrement au banc de marbre... il n'y avait pas de lettre.... Un moment d'impatience vous échappa... j'osai l'interpréter favorablement....
M. de Morville regarda madame de Hansfeld avec inquiétude; ses yeux étaient baissés, ses bras croisés sur sa poitrine; sa figure restait impassible.
En parlant de la sorte, en instruisant madame de Hansfeld des circonstances qu'il avait surprises, M. de Morville br?lait ses vaisseaux; mais il ne devait pas revoir la princesse, il n'e?t pas commis sans cela une pareille maladresse.
--Que vous dirai-je, madame?--reprit-il--je jouissais depuis deux mois du bonheur ineffable, de vous voir ainsi chaque jour, lorsque j'appris que vous quittiez la maison voisine de la n?tre pour aller habiter à l'?le Saint-Louis l'ancien h?tel Lambert. Alors mon chagrin fut profond... oh! bien profond!... Peut-être alors seulement je sentis combien je vous aimais, madame....
A ces derniers mots, prononcés par M. de Morville d'une vois émue, madame de Hansfeld redressa vivement la tête; une légère rougeur colora son pale visage, elle répondit d'un ton de raillerie glaciale:
--Ce singulier aveu est sans doute indispensable à la révélation du secret que vous avez à m'apprendre, monsieur?
--Oui, madame....
--Je vous écoute.
--Jusqu'au moment où vous quittates la maison voisine de celle de ma mère, je vous avais souvent rencontrée chez quelques personnes de ma connaissance; je n'avais voulu faire aucune démarche pour avoir l'honneur de vous être présenté. Je trouvais un grand charme au mystère qui entourait mon amour; je vous étais absolument inconnu, moi qui vous connaissais si bien, moi témoin invisible de toutes les émotions qui se révélaient sur votre physionomie; et puis vous parler de banalités au milieu de la contrainte du monde, qu'e?t été cela pour moi auprès de mes longues heures de contemplation silencieuse et passionnée! Mais lorsque votre départ me priva de ce bonheur de chaque jour, je reconnus le prix de ces relations mondaines que j'avais d'abord dédaignées, je résolus de vous être présenté; vous vous étiez tout récemment liée avec une de mes tantes, madame de Lormoy, qui professe pour vous la plus haute estime. Ainsi que tout le monde, elle ignorait l'heureux hasard qui m'avait
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