que celle du misérable. Mais une singularité est survenue; au seizième siècle, la langue savante a francisé captivus, et en a fait captif. Les procédés de la langue populaire et de la langue savante sont tellement différents, que chétif et captif, qui sont pourtant le même mot, marchent c?te à c?te sans se reconna?tre. Il faut convenir que, chétif ayant irrévocablement perdu son sens de prisonnier, captif est un assez heureux néologisme du seizième siècle.
Choisir.--Le mot germanique qui a produit notre choisir signifie voir, apercevoir, discerner. Aussi est-ce l'unique acception que choisir a dans l'ancien fran?ais. Choisir au sens d'élire ne commence à para?tre qu'au quatorzième siècle. A mesure que choisir s'établissait au sens d'élire, élire lui-même éprouvait une diminution d'emploi. Le fran?ais moderne n'a gardé aucune trace de la vraie et antique acception de choisir. Il n'a pas été nécessaire de donner une forte entorse au mot pour lui attacher le sens d'élire; et discerner, qu'il renferme, conduit sans grande peine à faire un choix. Ici se présente une singularité; tandis que, anciennement, choisir n'a que le sens de voir, choix n'a en aucun temps celui de vue, de regard: il veut toujours dire élection. Dès l'origine, le traitement du verbe a été différent du traitement du substantif. Discernement, si voisin du sens d'élection, a prévalu dans celui- ci tandis que le sens plus général de voir prévalait, selon l'étymologie, dans celui-là. Dès lors on con?oit que le quatorzième siècle ne fit pas un grand néologisme de signification quand il rendit choisir synonyme d'élire. Mais choisir au sens de voir en est mort; c'est un cas assez fréquent dans le cours de notre langue qu'une nouvelle acception met hors d'usage l'ancienne.
Compliment.--Compliment est le substantif de l'ancien verbe complir, et signifie accomplissement. Il a ce sens dans le seizième siècle. Le dix-septième siècle n'en tient aucun compte, et, laissant dans l'oubli cette acception régulière, il en imagine une autre, celle de paroles de civilité adressées à propos d'un événement heureux ou malheureux. Il aurait bien d? nous laisser entrevoir quels intermédiaires l'avaient conduit si loin dans ce néologisme de signification. Ce qui semble le plus plausible, en l'absence de tout document, c'est que, dans les paroles ainsi adressées, il a vu un accomplissement de devoir ou de bienséance; et le nom que portait cet acte (compliment ou accomplissement), il l'a transféré aux paroles mêmes qui s'y pronon?aient. Notez en confirmation que le premier sens de compliment, selon le dix-septième siècle, est discours solennel adressé à une personne revêtue d'une autorité. C'est donc bien un accomplissement.
Converser, conversation.--Converser, d'après son origine latine, veut dire vivre avec, et n'a pas d'autre signification durant tout le cours de la langue, jusqu'au seizième siècle inclusivement. Conversation, qui en est le substantif, ne se comporte pas autrement, et nos a?eux ne l'emploient qu'avec le sens d'action de vivre avec. Puis, tout à coup, le dix-septième siècle, fort enclin aux néologismes de signification, se donne licence dans conversation; et il ne s'en sert plus que pour exprimer un échange de propos. Ce siècle, qu'on dit conservateur, ne le fut pas ici; car, s'il lui a été licite de passer du sens primitif au sens dérivé, il n'aurait pas d? abolir le premier au profit du second. C'est un dommage gratuit imposé à la langue. Converser a été plus heureux; il a les deux acceptions, et la tradition, d'ordinaire respectable, n'y a pas été interrompue.
Coquet, coquette.--Un coquet dans l'ancienne langue est un jeune coq. On ne peut qu'applaudir à l'imagination ingénieuse et riante qui a transporté l'air et l'apparence de ce gentil animal dans l'espèce humaine et y a trouvé une heureuse expression pour l'envie de plaire, pour le désir d'attirer en plaisant. On ne sait pas au juste quand la nouvelle acception a été attachée à coquet. Je n'en connais pas d'exemple avant le quinzième siècle.
C?te.--Le sens étymologique est celui d'os servant à constituer la cage de la poitrine. Longtemps, le mot n'en a pas eu d'autre; puis, au seizième siècle, on voit appara?tre celui de penchant de colline. En cette acception l'ancienne langue disait un pendant. La c?te d'une colline a été ainsi nommée par la même suggestion qui forma c?té (costé) et coteau (costeau). On y vit une partie latérale, assimilée dès lors sans difficulté aux os composant la partie latérale de la poitrine. C'est le seizième siècle qui a eu le mérite d'imaginer un tel rapport. Nous usons, sans scrupule, de sa hardiesse néologique qui susciterait plus d'une clameur si elle se produisait aujourd'hui. Toutefois notons que nos a?eux (les a?eux antérieurs au seizième siècle) n'avaient pas été trop mal inspirés en nommant au propre un pendant ce que nous nommons une c?te au figuré.
Cour.--Il y avait dans le latin un mot cohors ou chors qui signifiait enclos. Il se transforma dans le bas
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