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Stephane Mallarmé
instrument, traînante et légère, que remplaça
une voix prononçant les mots sur un ton descendant: «La Pénultième

est morte», de façon que
La Pénultième
finit le vers et
Est morte
se détacha de la suspension fatidique plus inutilement en le vide de
signification. Je fis des pas dans la rue et reconnus en le son nul la
corde tendue de l'instrument de musique, qui était oublié et que le
glorieux Souvenir certainement venait de visiter de son aile ou d'une
palme et, le doigt sur l'artifice du mystère, je souris et implorai de
voeux intellectuels une spéculation différente. La phrase revint,
virtuelle, dégagée d'une chute antérieure de plume ou de rameau,
dorénavant à travers la voix entendue jusqu'à ce qu'enfin elle s'articula
seule, vivant de sa personnalité. J'allais (ne me contentant plus d'une
perception) la lisant en fin de vers et, une fois, comme un essai,
l'adaptant à mon parler; bientôt la prononçant avec un silence après
«Pénultième», dans lequel je trouvais une pénible jouissance: «La
Pénultième--», puis la corde de l'instrument, si tendue en l'oubli sur le
son nul, cassait sans doute, et j'ajoutais en manière d'oraison: «Est
morte». Je ne discontinuai pas de tenter un retour à des pensées de
prédilection, alléguant, pour me calmer, que, certes, pénultième est le
terme du lexique qui signifie l'avant-dernière syllabe des vocables, et
son apparition, le reste mal abjuré d'un labeur de linguistique par lequel
quotidiennement sanglote de s'interrompre ma noble faculté poétique:
la sonorité même et l'air de mensonge assumé par la hâte de la facile
affirmation étaient une cause de tourment. Harcelé, je résolus de laisser
les mots de triste nature errer eux-mêmes sur ma bouche, et j'allai
murmurant avec l'intonation susceptible de condoléance: «La
Pénultième est morte, elle est morte, bien morte, la désespérée
Pénultième», croyant par là satisfaire l'inquiétude, et non sans le secret
espoir de l'ensevelir en l'amplification de la psalmodie quand,
effroi!--d'une magie aisément déductible et nerveuse--je sentis que
j'avais, ma main réfléchie par un vitrage de boutique y faisant le geste
d'une caresse qui descend sur quelque chose, la voix même (la première,
qui indubitablement avait été l'unique).

Mais où s'installe l'irrécusable intervention du surnaturel, et le
commencement de l'angoisse sous laquelle agonise mon esprit naguère
seigneur, c'est quand je vis, levant les yeux, dans la rue des antiquaires
instinctivement suivie, que j'étais devant la boutique d'un luthier
vendeur de vieux instruments pendus au mur, et, à terre, des palmes
jaunes et les ailes, enfouies en l'ombre, d'oiseaux anciens. Je m'enfuis,
bizarre, personne condamnée à porter probablement le deuil de
l'inexplicable Pénultième.

Pauvre Enfant Pâle..
Pauvre enfant pâle, pourquoi crier à tue-tête dans la rue ta chanson
aiguë et insolente, qui se perd parmi les chats, seigneurs des toits? car
elle ne traversera pas les volets des premiers étages, derrière lesquels tu
ignores de lourds rideaux de soie incarnadine.
Cependant tu chantes fatalement, avec l'assurance tenace d'un petit
homme qui s'en va seul par la vie et, ne comptant sur personne,
travaille pour soi. As-tu jamais eu un père? Tu n'as pas même une
vieille qui te fasse oublier la faim en te battant, quand tu rentres sans un
sou.
Mais tu travailles pour toi: debout dans les rues, couvert de vêtements
déteints faits comme ceux d'un homme, une maigreur prématurée et
trop grand à ton âge, tu chantes pour manger, avec acharnement, sans
abaisser tes yeux méchants vers les autres enfants jouant sur le pavé.
Et ta complainte est si haute, si haute, que ta tête nue qui se lève en l'air
à mesure que ta voix monte, semble vouloir partir de tes petites
épaules.
Petit homme, qui sait si elle ne s'en ira pas un jour, quand, après avoir
crié longtemps dans les villes, tu auras fait un crime? un crime n'est pas
bien difficile à faire, va, il suffit d'avoir du courage après le désir, et
tels qui.. Ta petite figure est énergique.
Pas un sou ne descend dans le panier d'osier que tient ta longue main

pendue sans espoir sur ton pantalon: on te rendra mauvais et un jour tu
commettras un crime.
Ta tête se dresse toujours et veut te quitter, comme si d'avance elle
savait, pendant que tu chantes d'un air qui devient menaçant.
Elle te dira adieu quand tu paieras pour moi, pour ceux qui valent
moins que moi. Tu vins probablement au monde vers cela et tu jeûnes
dès maintenant, nous te verrons dans les journaux.
Oh! pauvre petite tête!

La Pipe
Hier, j'ai trouvé ma pipe en rêvant une longue soirée de travail, de beau
travail d'hiver. Jetées les cigarettes avec toutes les joies enfantines de
l'été dans le passé qu'illuminent les feuilles bleues de soleil, les
mousselines et reprise ma grave pipe par un homme sérieux qui veut
fumer longtemps sans se déranger, afin de
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