Périclès | Page 8

William Shakespeare
mon avis....
PÉRICLÈS.--Simonide!
TROISIÈME PÊCHEUR.--Nous purgerions la terre de ces frelons qui
volent les abeilles.
PÉRICLÈS.--Comme ces pêcheurs, d'après le marécageux sujet de la
mer, peignent les erreurs de l'homme et de leurs demeures humides ils
passent en revue tout ce que l'homme approuve et invente.--Paix à vos
travaux, honnêtes pêcheurs.
SECOND PÊCHEUR.--Honnête!... bonhomme, qu'est-ce que cela?--Si
c'est un jour qui vous convienne, effacez-le du calendrier, et personne
ne le cherchera.
PÉRICLÈS.--Non, voyez, la mer a jeté sur votre côte....
SECOND PÊCHEUR.--Quelle folle d'ivrogne est la mer, de te jeter sur
notre chemin!
PÉRICLÈS.--Un homme que les flots et les vents, dans ce vaste jeu de
paume, ont pris pour balle, vous supplie d'avoir pitié de lui; il vous
supplie, lui qui n'est pas habitué à demander.
PREMIER PÊCHEUR.--Quoi donc, l'ami, ne peux-tu mendier? Il y a
des gens dans notre Grèce qui gagnent plus en mendiant que nous en
travaillant.
SECOND PÊCHEUR.--Sais-tu prendre des poissons?
PÉRICLÈS.--Je n'ai jamais fait ce métier.
SECOND PÊCHEUR.--Alors tu mourras de faim; car il n'y a rien à
gagner aujourd'hui, à moins que tu ne le pêches.

PÉRICLÈS.--J'ai appris à oublier ce que je fus; mais le besoin me force
de penser à ce que je suis, un homme transi de froid; mes veines sont
glacées et n'ont guère de vie que ce qui peut suffire à donner assez de
chaleur à ma langue pour implorer vos secours. Si vous me les refusez,
comme je suis homme, veuillez me faire ensevelir quand je serai mort.
PREMIER PÊCHEUR.--Mourir, dis-tu? que les dieux t'en préservent.
J'ai un manteau ici, viens t'en revêtir; réchauffe-toi: approche. Tu es un
beau garçon; viens avec nous, tu auras de la viande les dimanches, du
poisson les jours de jeûne, sans compter les poudings et des gâteaux de
pomme, et tu seras le bienvenu.
PÉRICLÈS.--Je vous remercie.
SECOND PÊCHEUR.--Écoute, l'ami, tu disais que tu ne pouvais
mendier?
PÉRICLÈS.--Je n'ai fait que supplier.
SECOND PÊCHEUR.--Je me ferai suppliant aussi, et j'esquiverai le
fouet.
PÉRICLÈS.--Quoi! tous les mendiants sont-ils fouettés?
SECOND PÊCHEUR.--Non pas tous, l'ami; car si tous les mendiants
étaient fouettés, je ne voudrais pas de meilleure place que celle de
bedeau; mais notre maître, je vais tirer le filet.
(Les deux pêcheurs sortent.)
PÉRICLÈS.--Comme cette honnête gaieté convient à leurs travaux!
PREMIER PÊCHEUR.--Holà, monsieur, savez-vous où vous êtes?
PÉRICLÈS.--Pas trop.
PREMIER PÊCHEUR.--Je vais vous le dire: cette ville s'appelle
Pentapolis, et notre roi est le bon Simonide.

PÉRICLÈS.--Le bon roi Simonide, avez-vous dit?
PREMIER PÊCHEUR.--Oui, et il mérite ce nom par son règne paisible
et son bon gouvernement.
PÉRICLÈS.--C'est un heureux roi, puisque son gouvernement lui
mérite le titre de bon. Sa cour est-elle loin de ce rivage?
PREMIER PÊCHEUR.--Oui-dà, monsieur, à une demi-journée; je vous
dirai qu'il a une belle fille; c'est demain le jour de sa naissance, et il est
venu des princes et des chevaliers de toutes les parties du monde, afin
de jouter dans un tournois pour l'amour d'elle.
PÉRICLÈS.--Si ma fortune égalait mes désirs, je voudrais me mettre du
nombre.
PREMIER PÊCHEUR.--Monsieur, il faut que les choses soient comme
elles peuvent être. Ce qu'un homme ne peut obtenir, il peut
légitimement le faire pour... l'âme de sa femme.
(Les deux pêcheurs rentrent en tirant leur filet.)
SECOND PÊCHEUR.--A l'aide, maître, à l'aide, voici un poisson qui
se débat dans le filet comme le bon droit dans un procès. Il y aura de la
peine à le tirer.--Ah! au diable!--Le voici enfin, et il s'est changé en
armure rouillée.
PÉRICLÈS.--Une armure! mes amis, laissez-moi la voir, je vous prie.
Je te remercie, fortune, après toutes mes traverses, de me rendre
quelque chose pour me rétablir; je te remercie quoique cette armure
m'appartienne et fasse partie de mon héritage; ce gage me fut donné par
mon père avec cette stricte recommandation répétée à son lit de mort:
Regarde cette armure, Périclès, elle m'a servi de bouclier contre la
mort (il me montrait ce brassard); conserve-la parce qu'elle m'a sauvé;
dans un danger pareil, ce dont les dieux te préservent, elle peut te
défendre aussi. Je l'ai conservée avec amour jusqu'au moment où les
vagues cruelles, qui n'épargnent aucun mortel, me l'arrachèrent dans
leur rage; devenues plus calmes, elles me la rendent. Je te remercie;

mon naufrage n'est plus un malheur, puisque je retrouve le présent de
mon père.
PREMIER PÊCHEUR.--Monsieur, que voulez-vous dire?
PÉRICLÈS.--Mes bons amis, je vous demande cette armure qui fut
celle d'un roi, je la reconnais à cette marque. Ce roi m'aimait
tendrement, et pour l'amour de lui je veux posséder ce gage de son
souvenir. Je vous prie aussi de me conduire à la cour de votre souverain
où cette armure me permettra de paraître noblement, et, si ma fortune
s'améliore, je reconnaîtrai votre bienveillance; jusqu'alors je suis votre
débiteur.
PREMIER PÊCHEUR.--Quoi! voulez-vous combattre pour la
princesse?
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