Périclès | Page 4

William Shakespeare
et pour dire au
monde le crime révoltant qu'a commis Antiochus. Que ce prince meure
donc, et que sa mort sauve mon honneur. Holà! quelqu'un!
(Thaliard entre.)
THALIARD.--Votre Majesté m'appelle-t-elle?
ANTIOCHUS.--Thaliard, tu es de ma maison et le confident des secrets
de mon coeur: ta fidélité fera ton avancement.--Thaliard, voici du
poison et voici de l'or; nous haïssons le prince de Tyr, et tu dois le tuer.
Il ne t'appartient pas de demander le motif de cet ordre. Dis-moi, cela
suffit-il?
THALIARD.--Sire, cela suffit.
(Entre un messager.)

ANTIOCHUS.--Un instant! reprends haleine, et dis-nous pourquoi tu te
hâtes tant.
LE MESSAGER.--Sire, le prince Périclès a pris la fuite.
(Il sort.)
ANTIOCHUS.--Si tu veux vivre, vole après lui, et, comme un trait
lancé par un archer habile, atteins le but que ton oeil a visé. Ne reviens
que pour nous dire: Le prince Périclès est mort.
THALIARD.--Seigneur, si je puis le voir seulement à la portée de mon
pistolet, je le tiens pour mort. Adieu donc.
(Il sort.)
ANTIOCHUS.--Thaliard, adieu; jusqu'à ce que Périclès soit mort, mon
coeur ne pourra secourir ma tête.
(Il sort.)
SCÈNE II
Tyr.--Un appartement du palais.
PÉRICLÈS, HÉLICANUS et autres seigneurs.
PÉRICLÈS.--Que personne ne nous interrompe. Pourquoi ce poids
accablant de pensées? Triste compagne, la sombre mélancolie est chez
moi une chose si habituelle qu'il n'est aucune heure du glorieux jour ou
de la nuit paisible (tombe où devrait dormir tout chagrin) qui puisse
m'apporter le repos. Ici les plaisirs courtisent mes yeux, et mes yeux les
évitent, et le danger que je craignais est près d'Antiochus dont le bras
semble trop court pour m'atteindre ici. Ni le plaisir ne peut ici charmer
mon âme, ni l'éloignement du péril ne peut me consoler. Telles sont ces
passions qui, nées d'une fatale terreur, sont entretenues par l'inquiétude.
Ce qui n'était jadis qu'une crainte de ce qui pouvait arriver s'est changé
en précaution contre ce qui peut arriver encore. Voilà ma position. Le
grand Antiochus (contre lequel je ne puis lutter, puisque vouloir et agir

sont pour lui même chose) croira que je parlerai lors même que je lui
jurerai de garder le silence. Il ne me servira guère de lui dire que je
l'honore, s'il soupçonne que je puis le déshonorer; il fera tout pour
étouffer la voix qui pourrait le faire rougir; il couvrira la contrée de
troupes ennemies et déploiera un si terrible appareil de guerre que mes
États perdront tout courage; mes soldats seront vaincus avant de
combattre, et mes sujets punis d'une offense qu'ils n'ont pas commise.
C'est mon inquiétude pour eux et non une crainte égoïste (je ne suis que
comme la cime des arbres qui protège les racines qui l'avoisinent), qui
fait languir mon corps et mon âme. Je suis puni même avant
qu'Antiochus m'ait attaqué.
PREMIER SEIGNEUR.--Que la joie et le bonheur consolent votre
auguste coeur.
SECOND SEIGNEUR.--Conservez la paix dans votre coeur jusqu'à
votre retour.
HÉLICANUS.--Silence, silence, seigneurs, et laissez parler
l'expérience. Ils abusent le roi, ceux qui le flattent. La flatterie est le
soufflet qui enfle le crime. Celui qu'on flatte n'est qu'une étincelle à
laquelle le souffle de la flatterie donne la chaleur et la flamme, tandis
que les remontrances respectueuses conviennent aux rois; car ils sont
hommes, et peuvent se tromper. Quand le seigneur Câlin vous annonce
la paix il vous flatte, et déclare la guerre à votre roi. Prince,
pardonnez-moi, ou flattez-moi si vous voulez, mais je ne puis me
mettre beaucoup plus bas que mes genoux.
PÉRICLÈS.--Laissez-nous tous; mais allez visiter le port pour
examiner nos vaisseaux et nos munitions, et puis revenez. (Les
seigneurs sortent.)--Hélicanus, toi, tu m'as ému. Que vois-tu sur mon
front?
HÉLICANUS.--Un air chagrin, seigneur redoutable.
PÉRICLÈS.--Si le front courroucé des princes est si redouté, comment
as-tu osé allumer la colère sur le mien?

HÉLICANUS.--Comment les plantes osent-elles regarder le ciel qui les
nourrit?
PÉRICLÈS.--Tu sais que je suis maître de ta vie.
HÉLICANUS, fléchissant le genou.--J'ai moi-même aiguisé la hache,
vous n'avez plus qu'à frapper.
PÉRICLÈS.--Lève-toi; je t'en prie, lève-toi; assieds-toi. Tu n'es pas un
flatteur, je t'en remercie; et que le ciel préserve les rois de fermer
l'oreille à ceux qui leur révèlent leurs fautes. Digne conseiller et
serviteur d'un prince, toi qui, par ta sagesse, rends le prince sujet, que
veux-tu que je fasse?
HÉLICANUS.--Supportez avec patience les maux que vous vous
attirez vous-même.
PÉRICLÈS.--Tu parles comme un médecin. Hélicanus, tu me donnes
une potion que tu tremblerais de recevoir toi-même. Écoute-moi donc:
je fus à Antioche, où, comme tu sais, au péril de ma vie, je cherchais
une beauté célèbre qui pût me donner une postérité, cette arme des
princes qui fait la joie des sujets. Son visage fut pour mes yeux
au-dessus de toutes les merveilles; le reste, écoute bien, était aussi noir
que l'inceste. Je découvris le sens
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