Périclès | Page 5

William Shakespeare
d'une énigme qui faisait la honte du
père coupable; mais celui-ci feignit de me flatter au lieu de me menacer.
Tu sais qu'il est temps de craindre quand les tyrans semblent vous
caresser. Cette crainte m'assaillit tellement que je pris la fuite à la
faveur du manteau de la nuit qui me protégea. Arrivé ici, je songeais à
ce qui s'était passé, à ce qui pourrait s'ensuivre. Je connaissais
Antiochus pour un tyran; et les craintes des tyrans, au lieu de diminuer,
augmentent plus vite que leurs années. Et s'il venait à soupçonner (ce
qu'il soupçonne sans doute) que je puis apprendre au monde combien
de nobles princes ont péri pour le secret de son lit incestueux, afin de se
débarrasser de ce soupçon, Antiochus couvrirait cette contrée de soldats,
sous prétexte de l'outrage que je lui ai fait; et tous mes sujets, victimes
de mon offense, si c'en est une, éprouveraient les coups de la guerre qui
n'épargne pas l'innocence: cette tendresse pour tous les miens (et tu es
du nombre, toi qui me blâmes)....

HÉLICANUS.--Hélas! seigneur.
PÉRICLÈS.--Voilà ce qui bannit le sommeil de mes yeux, le sang de
mon visage; voilà ce qui remplit mon coeur d'inquiétudes, quand je
pense aux moyens d'arrêter cette tempête avant qu'elle éclate. Ayant
peu d'espoir de prévenir ces malheurs, je croyais que le coeur d'un
prince devait les pleurer.
HÉLICANUS.--Eh bien! seigneur, puisque vous m'avez permis de
parler, je vous parlerai franchement. Vous craignez Antiochus, et vous
n'avez pas tort; on peut craindre un tyran qui, soit par une guerre
ouverte ou une trahison cachée, attentera à votre vie. C'est pourquoi,
seigneur, voyagez pendant quelque temps, jusqu'à ce que sa rage et sa
colère soient oubliées, ou que le destin ait tranché le fil de ses jours.
Laissez-nous vos ordres: si vous m'en donnez, le jour ne sert pas plus
fidèlement la lumière que je vous servirai.
PÉRICLÈS.--Je ne doute pas de ta foi; mais s'il voulait empiéter sur
mes droits en mon absence?
HÉLICANUS.--Nous verserons notre sang sur la terre qui nous donna
naissance.
PÉRICLÈS.--Tyr, adieu donc; et je me rends à Tharse, j'y recevrai de
tes nouvelles et je me conduirai d'après tes lettres. Je te confie le soin
que j'ai toujours eu et que j'ai encore de mes sujets: ta sagesse est assez
puissante pour t'en charger, je compte sur ta parole, je ne te demande
pas un serment. Celui qui ne craint pas d'en violer un en violera bientôt
deux. Mais, dans nos différentes sphères, nous vivrons avec tant de
sincérité, que le temps ne donnera par nous aucune preuve nouvelle de
cette double vérité. Tu t'es montré sujet loyal, et moi bon prince.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
Tyr.--Un vestibule du palais.

Entre THALIARD.
THALIARD.--Voici donc Tyr et la cour. C'est ici qu'il me faut tuer le
roi Périclès; et si j'y manque, je suis sûr d'être tué à mon retour. C'est
dangereux. Allons, je m'aperçois qu'il fut sage et prudent, celui qui,
invité à demander ce qu'il voudrait à un roi, lui demanda de n'être
admis à la confidence d'aucun de ses secrets. Je vois bien qu'il avait
raison; car si un roi dit à un homme d'être un coquin, il est obligé de
l'être par son serment. Silence. Voici les seigneurs de Tyr.
(Hélicanus entre avec Escanès et autres seigneurs.)
HÉLICANUS.--Vous n'avez pas le choix, mes pairs de Tyr, de faire
d'autres questions sur le départ de votre roi. Cette commission, marquée
de son sceau, qu'il m'a laissée, dit assez qu'il est parti pour un voyage.
THALIARD, à part.--Quoi! le roi est parti?
HÉLICANUS.--Si vous voulez en savoir davantage, comme il est parti
sans prendre congé de vous, je vous donnerai quelques éclaircissements.
Étant à Antioche...
THALIARD, à part.--Que dit-il d'Antioche?
HÉLICANUS.--Le roi Antiochus (j'ignore pourquoi) prit de l'ombrage
contre lui, ou du moins Périclès le crut; et, craignant de s'être trompé ou
d'avoir commis quelque faute, il a voulu montrer ses regrets en se
punissant lui-même, et il s'est mis sur un vaisseau où sa vie est menacée
à chaque minute.
THALIARD, à part.--Allons, je vois que je ne serai pas pendu, quand
je le voudrais; mais, puisqu'il est parti, le roi sera charmé qu'il ait
échappé aux dangers de la terre pour périr sur
mer.--Présentons-nous.--Salut aux seigneurs de Tyr.
HÉLICANUS.--Le seigneur Thaliard est le bienvenu de la part
d'Antiochus.

THALIARD.--Je suis chargé par lui d'un message pour le prince
Périclès; mais depuis mon arrivée, ayant appris que votre maître est
parti pour de lointains voyages, mon message doit retourner là d'où il
est venu.
HÉLICANUS.--Nous n'avons aucune raison pour vous le demander,
puisqu'il est adressé à notre maître et non à nous; cependant, avant de
vous laisser partir, nous désirons vous fêter à Tyr, comme ami
d'Antiochus.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Tharse.--Appartement dans la maison du gouverneur.
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