faim; car il n'y a rien à gagner aujourd'hui, à moins que tu ne le pêches.
PéRICLèS.--J'ai appris à oublier ce que je fus; mais le besoin me force de penser à ce que je suis, un homme transi de froid; mes veines sont glacées et n'ont guère de vie que ce qui peut suffire à donner assez de chaleur à ma langue pour implorer vos secours. Si vous me les refusez, comme je suis homme, veuillez me faire ensevelir quand je serai mort.
PREMIER PêCHEUR.--Mourir, dis-tu? que les dieux t'en préservent. J'ai un manteau ici, viens t'en revêtir; réchauffe-toi: approche. Tu es un beau gar?on; viens avec nous, tu auras de la viande les dimanches, du poisson les jours de je?ne, sans compter les poudings et des gateaux de pomme, et tu seras le bienvenu.
PéRICLèS.--Je vous remercie.
SECOND PêCHEUR.--écoute, l'ami, tu disais que tu ne pouvais mendier?
PéRICLèS.--Je n'ai fait que supplier.
SECOND PêCHEUR.--Je me ferai suppliant aussi, et j'esquiverai le fouet.
PéRICLèS.--Quoi! tous les mendiants sont-ils fouettés?
SECOND PêCHEUR.--Non pas tous, l'ami; car si tous les mendiants étaient fouettés, je ne voudrais pas de meilleure place que celle de bedeau; mais notre ma?tre, je vais tirer le filet.
(Les deux pêcheurs sortent.)
PéRICLèS.--Comme cette honnête gaieté convient à leurs travaux!
PREMIER PêCHEUR.--Holà, monsieur, savez-vous où vous êtes?
PéRICLèS.--Pas trop.
PREMIER PêCHEUR.--Je vais vous le dire: cette ville s'appelle Pentapolis, et notre roi est le bon Simonide.
PéRICLèS.--Le bon roi Simonide, avez-vous dit?
PREMIER PêCHEUR.--Oui, et il mérite ce nom par son règne paisible et son bon gouvernement.
PéRICLèS.--C'est un heureux roi, puisque son gouvernement lui mérite le titre de bon. Sa cour est-elle loin de ce rivage?
PREMIER PêCHEUR.--Oui-dà, monsieur, à une demi-journée; je vous dirai qu'il a une belle fille; c'est demain le jour de sa naissance, et il est venu des princes et des chevaliers de toutes les parties du monde, afin de jouter dans un tournois pour l'amour d'elle.
PéRICLèS.--Si ma fortune égalait mes désirs, je voudrais me mettre du nombre.
PREMIER PêCHEUR.--Monsieur, il faut que les choses soient comme elles peuvent être. Ce qu'un homme ne peut obtenir, il peut légitimement le faire pour... l'ame de sa femme.
(Les deux pêcheurs rentrent en tirant leur filet.)
SECOND PêCHEUR.--A l'aide, ma?tre, à l'aide, voici un poisson qui se débat dans le filet comme le bon droit dans un procès. Il y aura de la peine à le tirer.--Ah! au diable!--Le voici enfin, et il s'est changé en armure rouillée.
PéRICLèS.--Une armure! mes amis, laissez-moi la voir, je vous prie. Je te remercie, fortune, après toutes mes traverses, de me rendre quelque chose pour me rétablir; je te remercie quoique cette armure m'appartienne et fasse partie de mon héritage; ce gage me fut donné par mon père avec cette stricte recommandation répétée à son lit de mort: Regarde cette armure, Périclès, elle m'a servi de bouclier contre la mort (il me montrait ce brassard); conserve-la parce qu'elle m'a sauvé; dans un danger pareil, ce dont les dieux te préservent, elle peut te défendre aussi. Je l'ai conservée avec amour jusqu'au moment où les vagues cruelles, qui n'épargnent aucun mortel, me l'arrachèrent dans leur rage; devenues plus calmes, elles me la rendent. Je te remercie; mon naufrage n'est plus un malheur, puisque je retrouve le présent de mon père.
PREMIER PêCHEUR.--Monsieur, que voulez-vous dire?
PéRICLèS.--Mes bons amis, je vous demande cette armure qui fut celle d'un roi, je la reconnais à cette marque. Ce roi m'aimait tendrement, et pour l'amour de lui je veux posséder ce gage de son souvenir. Je vous prie aussi de me conduire à la cour de votre souverain où cette armure me permettra de para?tre noblement, et, si ma fortune s'améliore, je reconna?trai votre bienveillance; jusqu'alors je suis votre débiteur.
PREMIER PêCHEUR.--Quoi! voulez-vous combattre pour la princesse?
PéRICLèS.--Je montrerai mon courage exercé à la guerre.
PREMIER PêCHEUR.--Prends donc cette armure, et que les dieux te secondent.
SECOND PêCHEUR.--Mais, écoutez-nous, l'ami, c'est nous qui avons tiré cet habit du fond de la mer; il est certaines indemnités. Si vous prospérez, j'espère que vous vous souviendrez de ceux à qui vous le devez.
PéRICLèS.--Oui, crois-moi. Maintenant, grace à vous, je suis vêtu d'acier; et, en dépit de la fureur des vagues, ce joyau a repris sa place à mon bras. Il me servira à me procurer un coursier dont le pas joyeux réjouira tous ceux qui le verront. Seulement, mon ami, il me manque encore un haut-de-chausse.
SECOND PêCHEUR.--Nous vous en trouverons; je vous donnerai mon meilleur manteau pour vous en faire un, et je vous conduirai moi-même à la cour.
PéRICLèS.--Que l'honneur serve de but à ma volonté. Je me relèverai aujourd'hui, ou j'accumulerai malheur sur malheur.
(Ils sortent.)
SCèNE II
Place publique, ou plate-forme conduisant aux lices. Sur un des c?tés de la place est un pavillon pour la réception du roi, de la princesse, et des seigneurs.
Entrent SIMONIDE, THAISA, des seigneurs; suite.
SIMONIDE.--Les chevaliers sont-ils prêts à commencer le spectacle?
PREMIER SEIGNEUR.--Ils sont prêts, seigneur, et
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