Périclès | Page 7

William Shakespeare
et gagnent une montagne. Le prince vertueux, auquel je donne ma bénédiction est encore à Tharse où chacun écoute ce qu'il dit comme chose sacrée, et, pour éterniser le souvenir de ses bienfaits, lui décerne une statue d'or; mais d'autres nouveautés vont être représentées sous vos yeux: qu'ai-je besoin de parler?--(Spectacle muet.--Périclès entre par une porte, parlant à Cléon, qui est accompagné d'une suite; par une autre porte entre un messager avec une lettre pour Périclès; Périclès montre la lettre à Cléon, ensuite il donne une récompense au messager. Cléon et Périclès sortent chacun de leur c?té.)--Le bon Hélicanus est resté à Tyr, ne mangeant pas le miel des autres comme un frelon. Tous ses efforts tendent à tuer les mauvais et à faire vivre les bons. Pour remplir les instructions de son prince, il l'informe de tout ce qui arrive à Tyr, et lui apprend que Thaliard était venu avec l'intention secrète de l'assassiner, et qu'il n'était pas s?r pour lui de rester plus longtemps à Tharse. Périclès s'est embarqué de nouveau sur les mers, si souvent fatales au repos de l'homme; le vent commence à souffler, le tonnerre et les flots font un tel tapage que le vaisseau qui aurait d? lui servir d'asile fait naufrage et se brise; le bon prince ayant tout perdu est porté de c?te en c?te par les vagues; tout l'équipage a péri, lui seul s'échappe; enfin la fortune, lasse d'être injuste, le jette sur un rivage; il aborde, heureusement le voici. Excusez le vieux Gower de n'en pas dire davantage, il a été déjà assez long.
(Il sort.)
SCèNE I
Pentapolis.--Plaine sur le bord de la mer.
PéRICLèS entre tout mouillé.
PéRICLèS.--Apaisez votre colère, étoiles furieuses du ciel; vent, pluie et tonnerre, souvenez-vous que l'homme mortel n'est qu'une substance qui doit vous céder, et je vous obéis comme ma nature le veut. Hélas! la mer m'a jeté sur les rochers, après m'avoir transporté sur ses flots de rivage en rivage et ne me laissant d'autre pensée que celle d'une mort prochaine. Qu'il suffise à votre puissance d'avoir privé un prince de toute sa fortune; repoussé de cette tombe humide, tout ce qu'il demande c'est de mourir ici en paix.
(Entrent trois pêcheurs.)
PREMIER PêCHEUR.--Holà! Pilch.
SECOND PêCHEUR.--Holà! viens et apporte les filets.
PREMIER PêCHEUR.--Moi, vieux rapetasseur, je te dis!
TROISIèME PêCHEUR.--Que dites-vous, ma?tre?
PREMIER PêCHEUR.--Prends garde à ce que tu fais; viens, ou j'irai te chercher avec un croc.
TROISIèME PêCHEUR.--En vérité, ma?tre, je pensais à ces pauvres gens qui viennent de faire naufrage à nos yeux, tout à l'heure.
PREMIER PêCHEUR.--Hélas! pauvres ames! cela me déchirait le coeur, d'entendre les cris plaintifs qu'ils nous adressaient quand nous avions peine à nous sauver nous-mêmes.
TROISIèME PêCHEUR.--Eh bien! ma?tre, ne l'avais-je pas dit en voyant ces marsouins[3] bondir. On dit qu'ils sont moitié chair et moitié poisson. Le diable les emporte! ils ne paraissent jamais que je ne pense à être noyé; ma?tre, je ne sais pas comment font les poissons pour vivre dans la mer.
[Note 3: Le docteur Malone considère ce pronostic comme une superstition des matelots; mais le capitaine Cook, dans son second voyage aux mers du Sud, dit aussi que les marsouins jouant autour du vaisseau annon?aient toujours un grand coup de vent.]
PREMIER PêCHEUR.--Eh! comme les hommes à terre: les gros mangent les petits. Je ne puis mieux comparer nos riches avares qu'à une baleine, qui se joue et chasse devant elle les pauvres fretins pour les dévorer d'une bouchée. J'ai entendu parler de semblables baleines à terre, qui ne cessent d'ouvrir la bouche qu'elles n'aient avalé toute la paroisse, église, clochers, cloches et tout.
PéRICLèS.--Jolie morale!
TROISIèME PêCHEUR.--Mais, notre ma?tre, si j'étais le sacristain, je me tiendrais ce jour-là dans le beffroi.
SECOND PêCHEUR.--Pourquoi, mon camarade?
TROISIèME PêCHEUR.--Parce qu'elles m'avaleraient aussi, et qu'une fois dans leur ventre, je branlerais si fort les cloches qu'elle finirait par tout rejeter, cloches, clochers, église et paroisse. Mais si le bon roi Simonide était de mon avis....
PéRICLèS.--Simonide!
TROISIèME PêCHEUR.--Nous purgerions la terre de ces frelons qui volent les abeilles.
PéRICLèS.--Comme ces pêcheurs, d'après le marécageux sujet de la mer, peignent les erreurs de l'homme et de leurs demeures humides ils passent en revue tout ce que l'homme approuve et invente.--Paix à vos travaux, honnêtes pêcheurs.
SECOND PêCHEUR.--Honnête!... bonhomme, qu'est-ce que cela?--Si c'est un jour qui vous convienne, effacez-le du calendrier, et personne ne le cherchera.
PéRICLèS.--Non, voyez, la mer a jeté sur votre c?te....
SECOND PêCHEUR.--Quelle folle d'ivrogne est la mer, de te jeter sur notre chemin!
PéRICLèS.--Un homme que les flots et les vents, dans ce vaste jeu de paume, ont pris pour balle, vous supplie d'avoir pitié de lui; il vous supplie, lui qui n'est pas habitué à demander.
PREMIER PêCHEUR.--Quoi donc, l'ami, ne peux-tu mendier? Il y a des gens dans notre Grèce qui gagnent plus en mendiant que nous en travaillant.
SECOND PêCHEUR.--Sais-tu prendre des poissons?
PéRICLèS.--Je n'ai jamais fait ce métier.
SECOND PêCHEUR.--Alors tu mourras de
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