frisant sa moustache blonde:
--Dans votre intérêt, il serait peut-être préférable d'avouer. Pour ma part
j'estime que votre système de dénégations absolues est d'une insigne
maladresse.
Et dès lors Crainquebille eût fait des aveux s'il avait su ce qu'il fallait
avouer.
* * * * *
M. le président Bourriche consacra six minutes pleines à l'interrogatoire
de Crainquebille. Cet interrogatoire aurait apporté plus de lumière si
l'accusé avait répondu aux questions qui lui étaient posées. Mais
Crainquebille n'avait pas l'habitude de la discussion, et dans une telle
compagnie le respect et l'effroi lui fermaient la bouche. Aussi gardait-il
le silence et le président faisait lui-même les réponses; elles étaient
accablantes. Il conclut:
--Enfin, vous reconnaissez avoir dit: «Mort aux vaches!»
Alors seulement l'inculpé Crainquebille tira de sa vieille gorge un bruit
de ferraille et de carreaux cassés.
--J'ai dit: «Mort aux vaches!» parce que M. l'agent a dit: «Mort aux
vaches!» Alors j'ai dit: «Mort aux vaches!»
Il voulait faire entendre qu'étonné par l'imputation la plus imprévue, il
avait, dans sa stupeur, répété les paroles étranges qu'on lui prêtait
faussement et qu'il n'avait certes point prononcées. Il avait dit: «Mort
aux vaches!» comme il eût dit: «Moi! tenir des propos injurieux,
l'avez-vous pu croire?»
M. le président Bourriche ne le prit pas ainsi.
--Prétendez-vous, dit-il, que l'agent a proféré le cri le premier!
Crainquebille renonça à s'expliquer. C'était trop difficile.
--Vous n'insistez pas. Vous avez raison, dit le président.
Et il fit appeler les témoins.
L'agent 64, de son nom Bastien Matra, jura de dire la vérité et de ne
rien dire que la vérité. Puis il déposa en ces termes:
--Étant de service le 20 octobre, à l'heure de midi, je remarquai, dans la
rue Montmartre, un individu qui me sembla être un vendeur ambulant
et qui tenait sa charrette indûment arrêtée à la hauteur du numéro 328,
ce qui occasionnait un encombrement de voitures. Je lui intimai par
trois fois l'ordre de circuler, auquel il refusa d'obtempérer. Et sur ce que
je l'avertis que j'allais verbaliser, il me répondit en criant: «Mort aux
vaches!» ce qui me sembla être injurieux.
Cette déposition, ferme et mesurée, fut écoutée avec une évidente
faveur par le Tribunal. La défense avait cité Mme Bayard, cordonnière,
et M. David Matthieu, médecin en chef de l'hôpital Ambroise-Paré,
officier de la Légion d'honneur. Mme Bayard n'avait rien vu ni entendu.
Le docteur Matthieu se trouvait dans la foule assemblée autour de
l'agent qui sommait le marchand de circuler. Sa déposition amena un
incident.
--J'ai été témoin de la scène, dit-il. J'ai remarqué que l'agent s'était
mépris: il n'avait pas été insulté. Je m'approchai et lui en fis
l'observation. L'agent maintint le marchand en état d'arrestation et
m'invita à le suivre au commissariat. Ce que je fis. Je réitérai ma
déclaration devant le Commissaire.
--Vous pouvez vous asseoir, dit le président. Huissier, rappelez le
témoin Matra.--Matra, quand vous avez procédé à l'arrestation de
l'accusé, M. le docteur Matthieu ne vous a-t-il pas fait observer que
vous vous mépreniez?
--C'est-à-dire, monsieur le président, qu'il m'a insulté.
--Que vous a-t-il dit?
--Il m'a dit: «Mort aux vaches!»
Une rumeur et des rires s'élevèrent dans l'auditoire.
--Vous pouvez vous retirer, dit le président avec précipitation.
Et il avertit le public que si ces manifestations indécentes se
reproduisaient, il ferait évacuer la salle. Cependant la défense agitait
triomphalement les manches de sa robe, et l'on pensait en ce moment
que Crainquebille serait acquitté.
Le calme s'étant rétabli, Me Lemerle se leva. Il commença sa plaidoirie
par l'éloge des agents de la Préfecture, «ces modestes serviteurs de la
société, qui, moyennant un salaire dérisoire, endurent des fatigues et
affrontent des périls incessants, et qui pratiquent l'héroïsme quotidien.
Ce sont d'anciens soldats, et qui restent soldats. Soldats, ce mot dit
tout...»
Et Me Lemerle s'éleva, sans effort, à des considérations très hautes sur
les vertus militaires. Il était de ceux, dit-il, «qui ne permettent pas qu'on
touche à l'armée, à cette armée nationale à laquelle il était fier
d'appartenir».
Le président inclina la tête.
Me Lemerle, en effet, était lieutenant dans la territoriale. Il était aussi
candidat nationaliste dans le quartier des Vieilles-Haudriettes.
Il poursuivit:
«Non certes, je ne méconnais pas les services modestes et précieux que
rendent journellement les gardiens de la paix à la vaillante population
de Paris. Et je n'aurais pas consenti à vous présenter, messieurs, la
défense de Crainquebille si j'avais vu en lui l'insulteur d'un ancien
soldat. On accuse mon client d'avoir dit: «Mort aux vaches!» Le sens
de cette phrase n'est pas douteux. Si vous feuilletez le Dictionnaire de
la langue verte, vous y lirez: «Vachard, paresseux, fainéant; qui s'étend
paresseusement comme une vache, au lieu de travailler.--Vache, qui se
vend à la police; mouchard.» Mort aux vaches! se dit dans un certain
monde. Mais toute la question est
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