Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome I. | Page 3

Napoleon Bonaparte
de l'argent sans, en profiter est un nigaud; car l'argent procure tous les plaisirs des sens, et les plaisirs des sens sont les seuls. Or, M. de Choiseul, qui était très libéral, ne vous permettait pas de lui résister, lorsque surtout votre ridicule patrie vous payait de vos services, selon sa plaisante coutume, de l'honneur de la servir.
Le traité de Compiègne conclu, M. de Chauvelin et vingt-quatre bataillons débarquèrent sur nos bords. M. de Choiseul, à qui la célérité de l'expédition importait majeurement, avait des inquiétudes que, dans ses épanchemens, il ne pouvait vous dissimuler. Vous lui suggérates de vous y envoyer avec quelques millions. Comme Philippe prenait les villes avec sa mule, vous lui prom?tes de tout soumettre sans obstacle... Aussit?t dit, aussit?t fait, et vous voici repassant la mer, jetant le masque, l'or et le brevet à la main, entamant des négociations avec ceux que vous jugeates les plus faciles.
N'imaginant pas qu'un Corse p?t se préférer à la patrie, le cabinet de Corse vous avait chargé de ses intérêts. N'imaginant pas, de votre c?té, qu'un homme p?t ne pas préférer l'argent et soi à la patrie, vous vous vend?tes, et espérates les acheter tous. Moraliste profond, vous saviez ce que le fanatisme d'un chacun valait; quelques livres d'or de plus ou de moins nuan?ant à vos yeux la disparité des caractères.
Vous vous trompates cependant: le faible fut bien ébranlé, mais fut épouvanté par l'horrible idée de déchirer le sein de la patrie. Il s'imagina voir le père, le frère, l'ami, qui périt en la défendant, lever la tête de la tombe sépulcrale, pour l'accabler de malédictions. Ces ridicules préjugés furent assez puissans pour vous arrêter dans votre course: vous gém?tes d'avoir à faire à un peuple enfant. Mais, monsieur, ce raffinement de sentiment n'est pas donné à la multitude; aussi vit-elle dans la pauvreté et la misère; au lieu que l'homme bien appris, pour peu que les circonstances le favorisent, sait bien vite s'élever. C'est à peu près la morale de votre histoire.
En rendant compte des obstacles qui s'opposaient à la réalisation de vos promesses, vous proposates de faire venir le régiment Royal-Corse. Vous espériez que son exemple désabuserait nos trop simples et trop bons paysans; les accoutumerait à une chose où ils trouvaient tant de répugnance: vous f?tes encore trompé dans cette espérance. Les Rossi, Marengo, et quelques autres fous, ne vont-ils pas enthousiasmer ce régiment, au point que les officiers unis protestent, par un acte authentique, de renvoyer leurs brevets, plut?t que de violer leurs sermens, ou des devoirs plus sacrés encore?
Vous vous trouvates réduit à votre seul exemple. Sans vous déconcerter, à la tête de quelques amis et d'un détachement fran?ais, vous vous jetates dans Vescovato; mais le terrible Clémente [2] vous en dénicha. Vous vous repliates sur Bastia avec vos compagnons d'aventure et leur famille. Cette petite affaire vous fit peu d'honneur: votre maison et celle de vos associés furent br?lées. En lieu de s?reté, vous vous moquates de ces efforts impuissans.
[Footnote 2: Clément Paoli, frère a?né du général Paoli, bon guerrier, excellent citoyen, vrai philosophe. Au commencement d'une action, il ne pouvait jamais se résoudre à se battre personnellement: il donnait ses ordres avec ce sang-froid qui caractérise le capitaine. Mais dès qu'il avait vu tomber quelqu'un des siens, il saisissait ses armes, avec cette convulsion d'un homme indigné, en faisait usage, en s'écriant: ?hommes injustes! pourquoi franchissez-vous les barrières de la nature? pourquoi faut-il que vous soyez les ennemis de la patrie??
Austère dans ses moeurs, simple dans sa vie privée, il a toujours vécu retiré. Ce n'était que dans les grands besoins qu'il venait aussi donner son avis, dont on s'écartait rarement.]
L'on veut ici vous imputer à défi, d'avoir voulu armer Royal-Corse contre ses frères. L'on veut également entacher votre courage, du peu de résistance de Vescovato. Ces accusations sont très-peu fondées; car la première est une conséquence immédiate, c'est un moyen d'exécution de vos projets; et comme nous avons prouvé que votre conduite était toute simple, il s'ensuit que cette inculpation incidente est détruite. Quant au défaut de courage, je ne vois pas que l'action de Vescovato puisse l'arrêter: vous n'allates pas là pour faire sérieusement la guerre, mais pour encourager, par votre exemple, ceux qui vacillaient dans le parti opposé. Et puis, quel droit a-t-on d'exiger que vous eussiez risqué le fruit de deux ans de bonne conduite, pour vous faire tuer comme un soldat!
Mais vous deviez être ému, de voir votre maison et celles de vos amis en proie aux flammes... Bon Dieu! quand sera-ce que les gens bornés cesseront de vouloir tout apprécier? Laissant br?ler votre maison, vous mettiez M. de Choiseul dans la nécessité de vous indemniser. L'expérience a prouvé la justesse de vos calculs: on vous remit bien au-delà de l'évalué des pertes. Il est vrai
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 215
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.