Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome I. | Page 2

Napoleon Bonaparte
un abandon si complet? C'est, monsieur, ce que je me plais à rechercher, en m'éclairant avec vous.
L'histoire de votre vie, depuis au moins que vous vous êtes lancé sur le théatre des affaires, est connue. Ses principaux traits en sont tracés ici en lettres de sang. Cependant, il est des détails plus ignorés: je pourrais alors me tromper; mais je compte sur votre indulgence et espère dans vos renseignemens.
Entré au service de France, vous rev?ntes voir vos parens: vous trouvates les tyrans battus, le gouvernement national établi, et les Corses, ma?trisés par les grands sentimens, concourir à l'envi, par des sacrifices journaliers, à la prospérité de la chose publique. Vous ne vous laissates pas séduire par la fermentation générale: bien loin de là, vous ne v?tes qu'avec pitié ce bavardage de patrie, de liberté, d'indépendance, de constitution, dont l'on avait boursouflé jusqu'à nos derniers paysans. Une profonde méditation vous avait dès lors appris à apprécier ces sentimens factices, qui ne se soutiennent qu'au détriment commun. Dans le fait, le paysan doit travailler, et non pas faire le héros, si l'on veut qu'il ne meure pas de faim, qu'il élève sa famille, qu'il respecte l'autorité. Quant aux personnes appelées par leur rang et leur fortune au commandement, il n'est pas possible qu'elles soient long-temps dupes, pour sacrifier à une chimère leurs commodités, leur considération; et qu'elles s'abaissent à courtoiser un savetier, pour finale de faire les Brutus. Cependant, comme il entrait dans vos projets de vous captiver M. Paoli, vous d?tes dissimuler: M. Paoli était le centre de tous les mouvemens du corps politique. Nous ne lui refuserons pas du talent, même un certain génie: il avait en peu de temps mis les affaires de l'?le dans un bon système: il avait fondé une université où, la première fois peut-être depuis la création, l'on enseignait dans nos montagnes les sciences utiles au développement de notre raison. Il avait établi une fonderie, des moulins à poudre, des fortifications qui augmentaient les moyens de défense: il avait ouvert des ports qui, encourageant le commerce, perfectionnaient l'agriculture: il avait créé une marine qui protégeait nos communications, en nuisant extrêmement aux ennemis. Tous ces établissemens, dans leur naissance, n'étaient que le présage de ce qu'il e?t fait un jour. L'union, la paix, la liberté étaient les avant-coureurs de la prospérité nationale, si toutefois un gouvernement mal organisé, fondé sur de fausses bases, n'e?t été un préjugé encore plus certain des malheurs, de l'anéantissement total où tout serait tombé.
M. Paoli avait rêvé de faire le Solon; mais il avait mal copié son original: il avait tout mis entre les mains du peuple ou de ses représentans, de sorte qu'on ne pouvait exister qu'en lui plaisant. étrange erreur! qui soumet à un brutal, à un mercenaire, l'homme qui, par son éducation, l'illustration de sa naissance, sa fortune, est seul fait pour gouverner. à la longue, un bouleversement de raison si palpable ne peut manquer d'entra?ner la ruine et la dissolution du corps politique, après l'avoir tourmenté par tous les genres de maux.
Vous réuss?tes à souhait. M. Paoli, sans cesse entouré d'enthousiastes ou de têtes exaltées, ne s'imagine pas que l'on p?t avoir une autre passion que le fanatisme de la liberté et de l'indépendance.
Vous trouvant de certaines connaissances de la France, il ne daigna pas observer de plus près que vos paroles, les principes de votre morale: il vous fit nommer pour traiter à Versailles de l'accommodement qui s'entamait sous la médiation de ce cabinet. M. de Choiseul vous vit et vous connut: les ames d'une certaine trempe sont d'abord appréciées. Bient?t, au lieu du représentant d'un peuple libre, vous vous transformates en commis d'un satrape: vous lui communiquates les instructions, les projets, les secrets du cabinet de Corse.
Cette conduite, qu'ici l'on trouve basse et atroce, me para?t à moi toute simple; mais c'est qu'en toute espèce d'affaire, il s'agit de s'entendre et de raisonner avec flegme.
La prude juge la coquette et en est persiflée; c'est en peu de mots votre histoire.
L'homme à principes vous juge au pire; mais vous ne croyez pas à l'homme à principes. Le vulgaire, toujours séduit par de vertueux démagogues, ne peut être apprécié par vous, qui ne croyez pas à la vertu. Il n'est permis de vous condamner que par vos principes, comme un criminel par les lois; mais ceux qui en connaissent le raffinement, ne trouvent dans votre conduite rien que de très-simple. Cela revient donc à ce que nous avons dit, que, dans toute espèce d'affaires, il faut d'abord s'entendre, et puis raisonner avec flegme. Vous avez d'ailleurs par devers vous une sous-défense non moins victorieuse, cas vous n'aspirez pas à la réputation de Caton ou de Catinat: il vous suffit d'être comme un certain monde; et, dans ce certain monde, il est convenu que celui qui peut avoir
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