quiconque
écoutait
Ce timbre d'argent qui vibrait sans trèves,
Quand Marco chantait.
Quand Marco pleurait, ses terribles larmes
Défiaient l'éclat des plus
belles armes;
Ses lèvres de sang fonçaient leur carmin
Et son
désespoir n'avait rien d'humain;
Pareil au foyer que l'huile exaspère,
Son courroux croissait, rouge, et l'on aurait
Dit d'une lionne à l'âpre
forêt
Communiquant sa terrible colère,
Quand Marco pleurait.
Quand Marco dansait, sa jupe moirée
Allait et venait comme une
marée,
Et, tel qu'un bambou flexible, son flanc
Se tordait, faisant
saillir son sein blanc;
Un éclair partait. Sa jambe de marbre,
Emphatiquement cynique, haussait
Ses mates splendeurs, et cela
faisait
Le bruit du vent de la nuit dans un arbre,
Quand Marco dansait.
Quand Marco dormait, oh! quels parfums d'ambre
Et de chair mêlés
opprimaient la chambre!
Sous les draps la ligne exquise du dos
Ondulait, et dans l'ombre des rideaux
L'haleine montait, rhythmique
et légère;
Un sommeil heureux et calme fermait
Ses yeux, et ce
doux mystère charmait
Les vagues objets parmi l'étagère,
Quand Marco dormait.
Mais quand elle aimait, des flots de luxure
Débordaient, ainsi que
d'une blessure
Sort un sang vermeil qui fume et qui bout,
De ce
corps cruel que son crime absout:
Le torrent rompait les digues de
l'âme,
Noyait la pensée, et bouleversait
Tout sur son passage, et
rebondissait
Souple et dévorant comme de la flamme,
Et puis se glaçait.
CESAR BORGIA
PORTRAIT EN PIED
Sur fond sombre noyant un riche vestibule
Où le buste d'Horace et
celui de Tibulle
Lointain et de profil rêvent en marbre blanc,
La
main gauche au poignard et la main droite au flanc,
Tandis qu'un rire
doux redresse la moustache,
Le duc CÉSAR, un grand costume, se
détache.
Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir
Vont
contrastant, parmi l'or somptueux d'un soir,
Avec la pâleur mate et
belle du visage
Vu de trois quarts et très ombré, suivant l'usage
Des
Espagnols ainsi que des Vénitiens,
Dans les portraits de rois et de
praticiens.
Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge,
Est mince,
et l'on dirait que la tenture bouge
Au souffle véhément qui doit s'en
exhaler.
Et le regard errant avec laisser-aller,
Devant lui, comme il
sied aux anciennes peintures,
Fourmille de pensers énormes
d'aventures.
Et le front, large et pur, sillonné d'un grand pli,
Sans
doute de projets formidables rempli,
Médite sous la toque où
frissonne une plume
S'élançant hors d'un noeud de rubis qui s'allume.
LA MORT DE PHILIPPE II
A Louis-Xavier de Ricard.
Le coucher d'un soleil de septembre ensanglante
La plaine morne et
l'âpre arête des sierras
Et de la brume au loin l'installation lente.
Le Guadarrama pousse entre les sables ras
Son flot hâtif qui va
réfléchissant par places
Quelques oliviers nains tordant leurs maigres
bras.
Le grand vol anguleux des éperviers rapaces
Raye à l'ouest le ciel mat
et rouge qui brunit,
Et leur cri rauque grince à travers les espaces.
Despotique, et dressant au-devant du zénith
L'entassement brutal de
ses tours octogones,
L'Escurial étend son orgueil de granit.
Les murs carrés, percés de vitraux monotones,
Montent droits, blancs
et nus, sans autres ornements
Que quelques grils sculptés qu'alternent
des couronnes.
Avec des bruits pareils aux rudes hurlements
D'un ours que des
bergers navrent de coups de pioches
Et dont l'écho redit les râles
alarmants,
Torrent de cris roulant ses ondes sur les roches,
Et puis s'évaporant en
de murmures longs,
Sinistrement dans l'air, du soir, tintent les
cloches.
Par les cours du palais, où l'ombre met ses plombs,
Circule--tortueux
serpent hiératique--
Une procession de moines aux frocs blonds
Qui marchent un par un, suivant l'ordre ascétique,
Et qui, pieds nus,
la corde aux reins, un cierge en main,
Ululent d'une voix formidable
un cantique.
--Qui donc ici se meurt? Pour qui sur le chemin
Cette paille épandue
et ces croix long-voilées
Selon le rituel catholique romain?--
La chambre est haute, vaste et sombre. Niellées,
Les portes d'acajou
massif tournent sans bruit,
Leurs serrures étant, comme leurs gonds,
huilées.
Une vague rougeur plus triste que la nuit
Filtre à rais indécis par les
plis des tentures
A travers les vitraux où le couchant reluit,
Et fait papilloter sur les architectures,
A l'angle des objets, dans
l'ombre du plafond,
Ce halo singulier qu'ont voit dans les peintures.
Parmi le clair-obscur transparent et profond
S'agitent effarés des
hommes et des femmes
A pas furtifs, ainsi que les hyènes font.
Riches, les vêtements des seigneurs et des dames
Velours panne,
satin soie, hermine et brocart,
Chantent l'ode du luxe en chatoyantes
gammes,
Et, trouant par éclairs distancés avec art
L'opaque demi-jour, les
cuirasses de cuivre
Des gardes alignés scintillent de trois quart
Un homme en robe noire, à visage de guivre,
Se penche, en caressant
de la main ses fémurs.
Sur un lit, comme l'on se penche sur un livre.
Des rideaux de drap d'or roides comme des murs
Tombent d'un dais
de bois d'ébène en droite ligne,
Dardant à temps égaux l'oeil des
diamants durs.
Dans le lit, un vieillard d'une maigreur insigne
Égrène un chapelet,
qu'il baise par moment,
Entre ses doigts crochus comme des brins de
vigne
Ses lèvres font ce sourd et long marmottement,
Dernier signe de vie
et premier d'agonie,
--Et son haleine pue épouvantablement.
Dans sa barbe couleur d'amarante ternie,
Parmi ses cheveux blancs où
luisent des tons roux
Sous son linge bordé de dentelle
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