Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1 | Page 9

Paul Verlaine
jaunie,
Avides, empressés, fourmillants, et jaloux
De pomper tout le sang
malsain du mourant fauve,
En bataillons serrés vont et viennent les
poux.
C'est le Roi, ce mourant qu'assisté un mire chauve,
Le Roi Philippe
Deux d'Espagne,--Saluez!
Et l'aigle autrichien s'effare dans l'alcôve,
Et de grands écussons, aux murailles cloués,
Brillent, et maints
drapeaux où l'oiseau noir s'étale
Pendent deçà delà, vaguement
remués!...
--La porte s'ouvre. Un flot de lumière brutale
Jaillit soudain, déferle
et bientôt s'établit
Par l'ampleur de la chambre en nappe horizontale:
Porteurs de torches, roux, et que l'extase emplit,
Entrent dix capucins
qui restent en prière:
Un d'entre eux se détache et marche droit au lit.
Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre,
Et les
élancements farouches de la Foi
Rayonnent à travers les cils de sa
paupière;
Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi,
Sonne sur les tapis,
régulier, emphatique;
Les yeux baissés en terre, il marche droit au
Roi.
Et tous sur son trajet dans un geste extatique
S'agenouillent, frappant
trois fois du poing leur sein,
Car il porte avec lui le sacré Viatique.
Du lit s'écarte avec respect le matassin,
Le médecin du corps, en
pareille occurrence,
Devant céder la place, Ame, à ton médecin.
La figure du Roi, qu'étire la souffrance,
A l'approche du fray se
rassérène un peu.
Tant la religion est grosse d'espérance!

Le moine, cette fois, ouvrant son oeil de feu,
Tout brillant de pardons
mêlés à des reproches,
S'arrête, messager des justices de Dieu.
--Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches.
Et la Confession commence. Sur le flanc
Se retournant, le roi, d'un
ton sourd, bas et grêle,
Parle de feux, de juifs, de bûchers et de sang.
--«Vous repentiriez-vous par hasard de ce zèle?
Brûler des juifs, mais
c'est une dilection!
Vous fûtes, ce faisant, orthodoxe et fidèle.»--
Et, se pétrifiant dans l'exaltation,
Le Révérend, les bras croisés en
croix, tête dressée,
Semble l'esprit sculpté de l'Inquisition.
Ayant repris haleine, et d'une voix cassée,
Péniblement, et comme
arrachant par lambeaux
Un remords douloureux du fond de sa pensée,
Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux
Éclaire le visage osseux
et le front blême,
Prononce ces mots: Flandre, Albe, morts, sacs,
tombeaux.
--«Les Flamands, révoltés contre l'Église même,
Furent très justement
punis, à votre los,
Et je m'étonne, ô Roi, de ce doute suprême.
«Poursuivez.»--Et le roi parla de don Carlos.
Et deux larmes
coulaient tremblantes sur sa joue
Palpitante et collée affreusement à
l'os.
--«Vous déplorez cet acte, et moi je vous en loue!
L'Infant, certes,
était coupable au dernier point,
Ayant voulu tirer l'Espagne dans la
boue
«De l'hérésie anglaise, et de plus n'ayant point
Frémi de conspirer--ô
ruses abhorrées!--
Et contre un Père, et contre un Maître, et contre un
Oint!»--

Le moine ensuite dit les formules sacrées
Par quoi tous nos péchés
nous sont remis, et puis,
Prenant l'Hostie avec ses deux mains
timorées,
Sur la langue du Roi la déposa. Tous bruits
Se sont tus, et la Cour,
pliant dans la détresse,
Pria, muette et pâle, et nul n'a su depuis
Si sa prière fut sincère ou bien traîtresse.
--Qui dira les pensers
obscurs que protégea
Ce silence, brouillard complice qui se dresse?--
Ayant communié, le Roi se replongea
Dans l'ampleur des coussins, et
la béatitude
De l'Absolution reçue ouvrant déjà
L'oeil de son âme au jour clair de la certitude,
épanouit ses traits en
un sourire exquis
Qui tenait de la fièvre et de la quiétude.
Et tandis qu'alentour ducs, comtes et marquis,
Pleins d'angoisses,
fichaient leurs yeux sous la courtine.
L'âme du Roi montait aux cieux
conquis.
Puis le râle des morts hurla dans la poitrine
De l'auguste malade avec
des sursauts fous:
Tel l'ouragan passe à travers une ruine.
Et puis, plus rien; et puis, sortant par mille trous,
Ainsi que des
serpents frileux de leur repaire,
Sur le corps froid les vers se mêlèrent
aux poux.
--Philippe Deux était à la droite du Père.
ÉPILOGUE
I
Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense.
Balancés par un
vent automnal et berceur,
Les rosiers du jardin s'inclinent en cadence.

L'atmosphère ambiante a des baisers de soeur,

La Nature a quitté pour cette fois son trône
De splendeur, d'ironie et
de sérénité:
Clémente, elle descend, par l'ampleur de l'air jaune,

Vers l'homme, son sujet pervers et révolté.
Du pan de son manteau que l'abîme constelle,
Elle daigne essuyer les
moiteurs de nos fronts,
Et son âme éternelle et sa forme immortelle

Donnent calme et vigueur à nos coeurs mous et prompts.
Le frais balancement des ramures chenues,
L'horizon élargi plein de
vagues chansons,
Tout, jusqu'au vol joyeux des oiseaux et des nues,

Tout aujourd'hui console et délivre.--Pensons.
II
Donc, c'en est fait. Ce livre est clos. Chères Idées
Qui rayiez mon ciel
gris de vos ailes de feu
Dont le vent caressait mes tempes obsédées,

Vous pouvez revoler devers l'Infini bleu!
Et toi, Vers qui tintais, et toi, Rime sonore,
Et vous, Rythmes
chanteurs, et vous, délicieux
Ressouvenirs, et vous, Rêves, et vous
encore,
Images qu'évoquaient mes désirs anxieux,
Il faut nous séparer. Jusqu'aux jours plus propices
Ou nous réunira
l'Art, notre maître, adieu,
Adieu, doux compagnons, adieu, charmants
complices!
Vous pouvez revoler devers l'Infini bleu.
Aussi bien, nous
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