Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1 | Page 8

Paul Verlaine
ainsi que des Vénitiens,?Dans les portraits de rois et de praticiens.?Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge,?Est mince, et l'on dirait que la tenture bouge?Au souffle véhément qui doit s'en exhaler.?Et le regard errant avec laisser-aller,?Devant lui, comme il sied aux anciennes peintures,?Fourmille de pensers énormes d'aventures.?Et le front, large et pur, sillonné d'un grand pli,?Sans doute de projets formidables rempli,?Médite sous la toque où frissonne une plume?S'élan?ant hors d'un noeud de rubis qui s'allume.
LA MORT DE PHILIPPE II
A Louis-Xavier de Ricard.
Le coucher d'un soleil de septembre ensanglante?La plaine morne et l'apre arête des sierras?Et de la brume au loin l'installation lente.
Le Guadarrama pousse entre les sables ras?Son flot hatif qui va réfléchissant par places?Quelques oliviers nains tordant leurs maigres bras.
Le grand vol anguleux des éperviers rapaces?Raye à l'ouest le ciel mat et rouge qui brunit,?Et leur cri rauque grince à travers les espaces.
Despotique, et dressant au-devant du zénith?L'entassement brutal de ses tours octogones,?L'Escurial étend son orgueil de granit.
Les murs carrés, percés de vitraux monotones,?Montent droits, blancs et nus, sans autres ornements?Que quelques grils sculptés qu'alternent des couronnes.
Avec des bruits pareils aux rudes hurlements?D'un ours que des bergers navrent de coups de pioches?Et dont l'écho redit les rales alarmants,
Torrent de cris roulant ses ondes sur les roches,?Et puis s'évaporant en de murmures longs,?Sinistrement dans l'air, du soir, tintent les cloches.
Par les cours du palais, où l'ombre met ses plombs,?Circule--tortueux serpent hiératique--?Une procession de moines aux frocs blonds
Qui marchent un par un, suivant l'ordre ascétique,?Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main,?Ululent d'une voix formidable un cantique.
--Qui donc ici se meurt? Pour qui sur le chemin?Cette paille épandue et ces croix long-voilées?Selon le rituel catholique romain?--
La chambre est haute, vaste et sombre. Niellées,?Les portes d'acajou massif tournent sans bruit,?Leurs serrures étant, comme leurs gonds, huilées.
Une vague rougeur plus triste que la nuit?Filtre à rais indécis par les plis des tentures?A travers les vitraux où le couchant reluit,
Et fait papilloter sur les architectures,?A l'angle des objets, dans l'ombre du plafond,?Ce halo singulier qu'ont voit dans les peintures.
Parmi le clair-obscur transparent et profond?S'agitent effarés des hommes et des femmes?A pas furtifs, ainsi que les hyènes font.
Riches, les vêtements des seigneurs et des dames?Velours panne, satin soie, hermine et brocart,?Chantent l'ode du luxe en chatoyantes gammes,
Et, trouant par éclairs distancés avec art?L'opaque demi-jour, les cuirasses de cuivre?Des gardes alignés scintillent de trois quart
Un homme en robe noire, à visage de guivre,?Se penche, en caressant de la main ses fémurs.?Sur un lit, comme l'on se penche sur un livre.
Des rideaux de drap d'or roides comme des murs?Tombent d'un dais de bois d'ébène en droite ligne,?Dardant à temps égaux l'oeil des diamants durs.
Dans le lit, un vieillard d'une maigreur insigne?égrène un chapelet, qu'il baise par moment,?Entre ses doigts crochus comme des brins de vigne
Ses lèvres font ce sourd et long marmottement,?Dernier signe de vie et premier d'agonie,?--Et son haleine pue épouvantablement.
Dans sa barbe couleur d'amarante ternie,?Parmi ses cheveux blancs où luisent des tons roux?Sous son linge bordé de dentelle jaunie,
Avides, empressés, fourmillants, et jaloux?De pomper tout le sang malsain du mourant fauve,?En bataillons serrés vont et viennent les poux.
C'est le Roi, ce mourant qu'assisté un mire chauve,?Le Roi Philippe Deux d'Espagne,--Saluez!?Et l'aigle autrichien s'effare dans l'alc?ve,
Et de grands écussons, aux murailles cloués,?Brillent, et maints drapeaux où l'oiseau noir s'étale?Pendent de?à delà, vaguement remués!...
--La porte s'ouvre. Un flot de lumière brutale?Jaillit soudain, déferle et bient?t s'établit?Par l'ampleur de la chambre en nappe horizontale:
Porteurs de torches, roux, et que l'extase emplit,?Entrent dix capucins qui restent en prière:?Un d'entre eux se détache et marche droit au lit.
Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre,?Et les élancements farouches de la Foi?Rayonnent à travers les cils de sa paupière;
Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi,?Sonne sur les tapis, régulier, emphatique;?Les yeux baissés en terre, il marche droit au Roi.
Et tous sur son trajet dans un geste extatique?S'agenouillent, frappant trois fois du poing leur sein,?Car il porte avec lui le sacré Viatique.
Du lit s'écarte avec respect le matassin,?Le médecin du corps, en pareille occurrence,?Devant céder la place, Ame, à ton médecin.
La figure du Roi, qu'étire la souffrance,?A l'approche du fray se rassérène un peu.?Tant la religion est grosse d'espérance!
Le moine, cette fois, ouvrant son oeil de feu,?Tout brillant de pardons mêlés à des reproches,?S'arrête, messager des justices de Dieu.
--Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches.
Et la Confession commence. Sur le flanc?Se retournant, le roi, d'un ton sourd, bas et grêle,?Parle de feux, de juifs, de b?chers et de sang.
--?Vous repentiriez-vous par hasard de ce zèle??Br?ler des juifs, mais c'est une dilection!?Vous f?tes, ce faisant, orthodoxe et fidèle.?--
Et, se pétrifiant dans l'exaltation,?Le Révérend, les bras croisés en croix, tête dressée,?Semble l'esprit sculpté de l'Inquisition.
Ayant repris haleine, et d'une voix cassée,?Péniblement, et comme arrachant par lambeaux?Un remords douloureux du fond
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