Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1 | Page 9

Paul Verlaine
de sa pensée,
Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux?éclaire le visage osseux et le front blême,?Prononce ces mots: Flandre, Albe, morts, sacs, tombeaux.
--?Les Flamands, révoltés contre l'église même,?Furent très justement punis, à votre los,?Et je m'étonne, ? Roi, de ce doute suprême.
?Poursuivez.?--Et le roi parla de don Carlos.?Et deux larmes coulaient tremblantes sur sa joue?Palpitante et collée affreusement à l'os.
--?Vous déplorez cet acte, et moi je vous en loue!?L'Infant, certes, était coupable au dernier point,?Ayant voulu tirer l'Espagne dans la boue
?De l'hérésie anglaise, et de plus n'ayant point?Frémi de conspirer--? ruses abhorrées!--?Et contre un Père, et contre un Ma?tre, et contre un Oint!?--
Le moine ensuite dit les formules sacrées?Par quoi tous nos péchés nous sont remis, et puis,?Prenant l'Hostie avec ses deux mains timorées,
Sur la langue du Roi la déposa. Tous bruits?Se sont tus, et la Cour, pliant dans la détresse,?Pria, muette et pale, et nul n'a su depuis
Si sa prière fut sincère ou bien tra?tresse.?--Qui dira les pensers obscurs que protégea?Ce silence, brouillard complice qui se dresse?--
Ayant communié, le Roi se replongea?Dans l'ampleur des coussins, et la béatitude?De l'Absolution re?ue ouvrant déjà
L'oeil de son ame au jour clair de la certitude,?épanouit ses traits en un sourire exquis?Qui tenait de la fièvre et de la quiétude.
Et tandis qu'alentour ducs, comtes et marquis,?Pleins d'angoisses, fichaient leurs yeux sous la courtine.?L'ame du Roi montait aux cieux conquis.
Puis le rale des morts hurla dans la poitrine?De l'auguste malade avec des sursauts fous:?Tel l'ouragan passe à travers une ruine.
Et puis, plus rien; et puis, sortant par mille trous,?Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,?Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux.
--Philippe Deux était à la droite du Père.
éPILOGUE
I
Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense.?Balancés par un vent automnal et berceur,?Les rosiers du jardin s'inclinent en cadence.?L'atmosphère ambiante a des baisers de soeur,
La Nature a quitté pour cette fois son tr?ne?De splendeur, d'ironie et de sérénité:?Clémente, elle descend, par l'ampleur de l'air jaune,?Vers l'homme, son sujet pervers et révolté.
Du pan de son manteau que l'ab?me constelle,?Elle daigne essuyer les moiteurs de nos fronts,?Et son ame éternelle et sa forme immortelle?Donnent calme et vigueur à nos coeurs mous et prompts.
Le frais balancement des ramures chenues,?L'horizon élargi plein de vagues chansons,?Tout, jusqu'au vol joyeux des oiseaux et des nues,?Tout aujourd'hui console et délivre.--Pensons.
II
Donc, c'en est fait. Ce livre est clos. Chères Idées?Qui rayiez mon ciel gris de vos ailes de feu?Dont le vent caressait mes tempes obsédées,?Vous pouvez revoler devers l'Infini bleu!
Et toi, Vers qui tintais, et toi, Rime sonore,?Et vous, Rythmes chanteurs, et vous, délicieux?Ressouvenirs, et vous, Rêves, et vous encore,?Images qu'évoquaient mes désirs anxieux,
Il faut nous séparer. Jusqu'aux jours plus propices?Ou nous réunira l'Art, notre ma?tre, adieu,?Adieu, doux compagnons, adieu, charmants complices!?Vous pouvez revoler devers l'Infini bleu.
Aussi bien, nous avons fourni notre carrière?Et le jeune étalon de notre bon plaisir,?Tout affolé qu'il est de sa course première,?A besoin d'un peu d'ombre et de quelque loisir.
--Car toujours nous t'avons fixée, ? Poésie,?Notre astre unique et notre unique passion,?T'ayant seule pour guide et compagne choisie,?Mère, et nous méfiant de l'Inspiration.
III
Ah! l'Inspiration superbe et souveraine,?L'égérie aux regards lumineux et profonds,?Le Genium commode et l'Erato soudaine,?L'Ange des vieux tableaux avec des ors au fond,
La Muse, dont la voix est puissante sans doute,?Puisqu'elle fait d'un coup dans les premiers cerveaux,?Comme ces pissenlits dont s'émaille la route,?Pousser tout un jardin de poèmes nouveaux,
La Colombe, le Saint-Esprit, le saint délire,?Les Troubles opportuns, les Transports complaisants,?Gabriel et son luth, Apollon et sa lyre,?Ah! l'Inspiration, on l'invoque à seize ans!
Ce qu'il nous faut à nous, les Suprêmes Poèles?Qui vénérons les Dieux et qui n'y croyons pas,?A nous dont nul rayon n'auréola les têtes,?Dont nulle Béatrix n'a dirigé les pas,
A nous qui ciselons les mots comme des coupes?Et qui faisons des vers émus très froidement,?A nous qu'on ne voit point les soirs aller par groupes?Harmonieux au bord des lacs et nous pàmant,
Ce qu'il nous faut, à nous, c'est, aux lueurs des lampes,?La science conquise et le sommeil dompté,?C'est le front dans les mains du vieux Faust des estampes,?C'est l'Obstination et c'est la Volonté!
C'est la Volonté sainte, absolue, éternelle,?Cramponnée au projet comme un noble condor?Aux flancs fumants de peur d'un buffle, et d'un coup d'aile Emportant son trophée à travers les cieux d'or!
Ce qu'il nous faut à nous, c'est l'étude sans trêve,?C'est l'effort inou?, le combat non pareil,?C'est la nuit, l'apre nuit du travail, d'où se lève?Lentement, lentement, l'Oeuvre, ainsi qu'un soleil!
Libre à nos Inspirés, coeurs qu'une oeillade enflamme.?D'abandonner leur être aux vents comme un bouleau:?Pauvres gens! l'Art n'est pas d'éparpiller son ame:?Est-elle eu marbre, ou non, la Vénus de Milo?
Nous donc, sculptons avec le ciseau des Pensées?Le bloc vierge du Beau, Paros immaculé,?Et faisons-en surgir sous nos mains empressées?Quelque pure statue au péplos étoile,
Afin qu'un jour, frappant de rayons gris et roses?Le chef-d'oeuvre serein, comme un nouveau Memnon?L'Aube-Postérité,
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