Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1 | Page 4

Paul Verlaine
dont le poison?--Dahlia, lys, tulipe et renoncule--?Noyant mes sens, mon ame et ma raison,?Mêle, dans une immense pamoison,?Le Souvenir avec le Crépuscule.
III
PROMENADE SENTIMENTALE
Le couchant, dardait ses rayons suprêmes?Et le vent ber?ait les nénuphars blêmes;?Les grands nénuphars entre les roseaux,?Tristement luisaient sur les calmes eaux.?Moi j'errais tout seul, promenant ma plaie?Au long de l'étang, parmi la saulaie?Où la brume vague évoquait un grand?Fant?me laiteux se désespérant?Et pleurant avec la voix des sarcelles?Qui se rappelaient en battant des ailes?Parmi la saulaie où j'errais tout seul?Promenant ma plaie; et l'épais linceul?Des ténèbres vint noyer les suprêmes?Rayons du couchant dans ses ondes blêmes?Et des nénuphars, parmi les roseaux,?Des grands nénuphars sur les calmes eaux.
IV
NUIT DU WALPURGIS CLASSIQUE
C'est plut?t le sabbat du second Faust que l'autre.?Un rhythmique sabbat, rhythmique, extrêmement?Rhythmique.--Imaginez un jardin de Len?tre,
Correct, ridicule et charmant.
Des ronds-points; au milieu, des jets d'eau; des allées?Toutes droites; sylvains de marbre; dieux marins?De bronze; ?à et là, des Vénus étalées;
Des quinconces, des boulingrins;
Des chataigniers; des plants de fleurs formant la dune;?Ici, des rosiers nains qu'un go?t docte effila;?Plus loin, des ifs taillés en triangles. La lune
D'un soir d'été sur tout cela.
Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique?Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air?De chasse: tel, doux, lent, sourd et mélancolique,
L'air de chasse de Tannhauser.
Des chants voilés de cors lointains où la tendresse?Des sens étreint l'effroi de l'ame en des accords?Harmonieusement dissonnants dans l'ivresse;
Et voici qu'à l'appel des cors
S'entrelacent soudain des formes toutes blanches,?Diaphanes, et que le clair de lune fait?Opalines parmi l'ombre verte des branches,
--Un Watteau rêvé par Raffet!--
S'entrelacent parmi l'ombre verte des arbres?D'un geste alangui, plein d'un désespoir profond;?Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres
Très lentement dansent en rond.
--Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée?Du poète ivre, ou son regret, ou son remords,?Ces spectres agités en tourbe cadencée,
Ou bien tout simplement des morts?
Sont-ce donc ton remords, ? rèvasseur qu'invite?L'horreur, ou ton regret, ou ta pensée,--hein?--tous?Ces spectres qu'un vertige irrésistible agite,
Ou bien des morts qui seraient fous?--
N'importe! ils vont toujours, les fébriles fant?mes,?Menant leur ronde vaste et morne et tressautant?Comme dans un rayon de soleil des atomes,
Et s'évaporent à l'instant
Humide et blême où l'aube éteint l'un après l'autre?Les cors, en sorte qu'il ne reste absolument?Plus rien--absolument--qu'un jardin de Len?tre,
Correct, ridicule et charmant.
V
CHANSON D'AUTOMNE
Les sanglots longs?Des violons
De l'automne?Blessent mon coeur?D'une langueur
Monotone.
Tout suffocant?Et blême, quand
Sonne l'heure,?Je me souviens?Des jours anciens
Et je pleure;
Et je m'en vais?Au vent mauvais
Qui m'emporte?De?à, delà,?Pareil à la
Feuille morte.
VI
L'HEURE DU BERGER
La lune est rouge au brumeux horizon;?Dans un brouillard qui danse, la prairie?S'endort fumeuse, et la grenouille crie?Par les joncs verts où circule un frisson;
Les fleurs des eaux referment leurs corolles,?Des peupliers profilent aux lointains,?Droits et serrés, leurs spectres incertains;?Vers les buissons errent les lucioles;
Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit?Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes,?Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes.?Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit.
VII
LE ROSSIGNOL
Comme un vol criard d'oiseaux en émoi,?Tous mes souvenirs s'abattent sur moi,?S'abattent parmi le feuillage jaune?De mon coeur mirant son tronc plié d'aune?Au tain violet de l'eau des Regrets,?Qui mélancoliquement coule auprès,?S'abattent, et puis la rumeur mauvaise?Qu'une brise moite en montant apaise,?S'éteint par degrés dans l'arbre, si bien?Qu'au bout d'un instant on n'entend plus rien,?Plus rien que la voix célébrant l'Absente,?Plus rien que la voix,--? si languissante!--?De l'oiseau qui fut mon Premier Amour,?Et qui chante encor comme au premier jour;?Et, dans la splendeur triste d'une lune?Se levant blafarde et solennelle, une?Nuit mélancolique et lourde d'été,?Pleine de silence et d'obscurité,?Berce sur l'azur qu'un vent doux effleure?L'arbre qui frissonne et l'oiseau qui pleure.
CAPRICES
A Henry Winter.
I
FEMME ET CHATTE?Elle jouait avec sa chatte;?Et c'était merveille de voir?La main blanche et la blanche patte?S'ébattre dans l'ombre du soir.
Elle cachait--la scélérate!--?Sous ces mitaines de fil noir?Ses meurtriers ongles d'agate,?Coupants et clairs comme un rasoir.
L'autre aussi faisait la sucrée?Et rentrait sa griffe acérée,?Mais le diable n'y perdait rien...
Et dans le boudoir où, sonore,?Tintait son rire aérien,?Brillaient quatre points de phosphore.
II
JéSUITISME
Le chagrin qui me tue est ironique, et joint?Le sarcasme au supplice, et ne torture point?Franchement, mais picote avec un faux sourire?Et transforme en spectacle amusant mon martyre,?Et sur la bière où g?t mon Rêve mi-pourri,?Beugle un De profundis_ sur l'air du _Traderi.?C'est un Tartufe qui, tout en mettant des roses?Pompons sur les autels des Madones moroses,?Tout en faisant chanter à des enfants de choeurs?Ces cantiques d'eau tiède où se baigne le coeur,?Tout en ami donnant ces guimpes amoureuses?Qui serpentent au coeur sacré des Bienheureuses,?Tout en disant à voix basse son chapelet,?Tout en passant la main sur son petit collet,?Tout en parlant avec componction de l'ame,?N'en médite pas moins ma ruine,--l'infame!
III
LA CHANSON DES INGéNUES
Nous sommes les Ingénues?Aux bandeaux plats, à l'oeil bleu,?Qui vivons, presque inconnues,?Dans les romans qu'on lit peu.
Nous allons entrelacées,?Et le jour n'est pas plus pur?Que le fond de nos pensées,?Et nos rêves sont d'azur;
Et nous courons par les prés?Et rions et babillons?Des aubes jusqu'aux vesprées,?Et chassons aux
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