Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1 | Page 3

Paul Verlaine
Je me souviens qu'il est doux et sonore,?Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,?Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave; elle a?L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
VII
A UNE FEMME
A vous ces vers, de par la grace consolante?De vos grands yeux où rit et pleure un rêve doux,?De par votre ame, pure et toute bonne, à vous?Ces vers du fond de ma détresse violente.
C'est qu'hélas! le hideux cauchemar qui me hante?N'a pas de trêve et va furieux, fou, jaloux,?Se multipliant comme un cortège de loups?Et se pendant après mon sort qu'il ensanglante.
Oh! je souffre, je souffre affreusement, si bien?Que le gémissement premier du premier homme?Chassé d'éden n'est qu'une églogue au prix du mien!
Et les soucis que vous pouvez avoir sont comme?Des hirondelles sur un ciel d'après-midi,?--Chère,--par un beau jour de septembre attiédi.
VIII
L'ANGOISSE
Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs?Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales?Siciliennes, ni les pompes aurorales,?Ni la solennité dolente des couchants.
Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, des chants,?Des vers, des temples grecs et des tours en spirales?Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales,?Et je vois du même oeil les bons et les méchants.
Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie?Toute pensée, et quant à la vieille ironie,?L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlat plus.
Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille?Au brick perdu jouet du flux et du reflux,?Mon ame pour d'affreux naufrages appareille.
EAUX-FORTES
_A Fran?ois Coppée_.
I
CROQUIS PARISIEN
La lune plaquait ses teintes de zinc
Par angles obtus.?Des bouts de fumée en forme de cinq?Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.
Le ciel était gris, la bise pleurait
Ainsi qu'un basson.?Au loin, un matou frileux et discret?Miaulait d'étrange et grêle fa?on.
Moi, j'allais, rêvant du divin Platon
Et de Phidias,?Et de Salamine et de Marathon,?Sous l'oeil clignotant des bleus becs de gaz.
II
CAUCHEMAR
J'ai vu passer dans mon rêve?--Tel l'ouragan sur la grève,?D'une main tenant un glaive?Et de l'autre un sablier,
Ce cavalier
Des ballades d'Allemagne?Qu'à travers ville et campagne,?Et du fleuve à la montagne,?Et des forêts au vallon,
Un étalon
Rouge-flamme et noir d'ébène,?Sans bride, ni mors, ni rène,?Ni hop! ni cravache, entra?ne?Parmi des ralements sourds
Toujours! toujours!
Un grand feutre à longue plume?Ombrait son oeil qui s'allume?Et s'éteint. Tel, dans la brume,?éclate et meurt l'éclair bleu
D'une arme à feu.
Comme l'aile d'une orfraie?Qu'un subit orage effraie,?Par l'air que la neige raie,?Son manteau se soulevant
Claquait au vent,
Et montrait d'un air de gloire?Un torse d'ombre et d'ivoire,?Tandis que dans la nuit noire?Luisaient en des cris stridents
Trente-deux dents.
III
MARINE
L'Océan sonore?Palpite sous l'oeil?De la lune en deuil?Et palpite encore,
Tandis qu'un éclair?Brutal et sinistre?Fend le ciel de bistre?D'un long zigzag clair,
Et que chaque lame,?En bonds convulsifs,?Le long des récifs,?Va, vient, luit et clame,
Et qu'au firmament,?Où l'ouragan erre,?Rugit le tonnerre?Formidablement.
IV
EFFET DE NUIT
La nuit. La pluie. Un ciel blafard que déchiquette?De flèches et de tours à jour la silhouette?D'une ville gothique éteinte au lointain gris.?La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris?Secoués par le bec avide des corneilles?Et dansant dans l'air noir des gigues non-pareilles,?Tandis que leurs pieds sont la pature des loups.?Quelques buissons d'épine épars, et quelques houx?Dressant l'horreur de leur feuillage à droite, à gauche,?Sur le fuligineux fouillis d'un fond d'ébauche.?Et puis, autour de trois livides prisonniers?Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers?En marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse,?Luisent à contresens des lances de l'averse.
V
GROTESQUES
Leurs jambes pour toutes montures,?Pour tous biens l'or de leurs regards,?Par le chemin des aventures?Ils vont haillonneux et hagards.
Le sage, indigné, les harangue;?Le sot plaint ces fous hasardeux;?Les enfants leur tirent la langue?Et les filles se moquent d'eux.
C'est qu'odieux et ridicules,?Et maléfiques en effet,?Ils ont l'air, sur les crépuscules,?D'un mauvais rêve que l'on fait:
C'est que, sur leurs aigres guitares?Crispant la main des libertés,?Ils nasillent des chants bizarres,?Nostalgiques et révoltés;
C'est enfin que dans leurs prunelles?Rit et pleure--fastidieux--?L'amour des choses éternelles,?Des vieux morts et des anciens dieux!
--Donc, allez, vagabonds sans trêves,?Errez, funestes et maudits,?Le long des gouffres et des grèves,?Sous l'oeil fermé des paradis!
La nature à l'homme s'allie?Pour chatier comme il le faut?L'orgueilleuse mélancolie?Qui vous fait marcher le front haut.
Et, vengeant sur vous le blasphème?Des vastes espoirs véhéments,?Meurtrit votre front anathème?Au choc rude des éléments.
Les juins br?lent et les décembres?Gèlent votre chair jusqu'aux os,?Et la fièvre envahit vos membres,?Qui se déchirent aux roseaux.
Tout vous repousse et tout vous navre,?Et quand la mort viendra pour vous,?Maigre et froide, votre cadavre?Sera dédaigné par les loups!
PAYSAGES TRISTES
_A Catulle Mendès_.
I
SOLEILS COUCHANTS
Une aube affaiblie?Verse par les champs?La mélancolie?Des soleils couchants.?La mélancolie?Berce de doux chants?Mon coeur qui s'oublie?Aux soleils couchants.?Et d'étranges rêves,?Comme des soleils?Couchants, sur les grèves,?Fant?mes vermeils,?Défilent sans trêves,?Défilent, pareils?A des grands soleils?Couchants, sur les grèves.
II
CRéPUSCULE DU SOIR MYSTIQUE
Le Souvenir avec le Crépuscule?Rougeoie et tremble à l'ardent horizon?De l'Espérance en flamme qui recule?Et s'agrandit ainsi qu'une cloison?Mystérieuse où mainte floraison?--Dahlia, lys, tulipe et renoncule--?S'élance autour d'un treillis, et circule?Parmi la maladive exhalaison?De parfums lourds et chauds,
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