Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1 | Page 5

Paul Verlaine
papillons;
Et des chapeaux de bergères?Défendent notre fra?cheur,?Et nos robes--si légères--?Sont d'une extrême blancheur;
Les Richelieux, les Caussades?Et les chevaliers Faublas?Nous prodiguent les oeillades,?Les saluts et les ?hélas!?
Mais en vain, et leurs mimiques?Se viennent casser le nez?Devant les plis ironiques?De nos jupons détournés;
Et notre candeur se raille?Des imaginations?De ces raseurs de muraille,?Bien que parfois nous sentions
Battre nos coeurs sous nos mantes?A des pensers clandestins,?En nous sachant les amantes?Futures des libertins.
IV
UNE GRANDE DAME
Belle ?à damner les saints?, à troubler sous l'aumusse?Un vieux juge! Elle marche impérialement.?Elle parle--et ses dents font un miroitement--?Italien, avec un léger accent russe.
Ses yeux froids où l'émail sertit le bleu de Prusse?Ont l'éclat insolent et dur du diamant.?Pour la splendeur du sein, pour le rayonnement?De la peau, nulle reine ou courtisane, f?t-ce
Cléopatre la lynce ou la chatte Ninon,?N'égale sa beauté patricienne, non!?Vois, ? bon Buridan: ?C'est une grande dame!?
Il faut--pas de milieu!--l'adorer à genoux.?Plat, n'ayant d'astre aux cieux que ces lourds cheveux roux Ou bien lui cravacher la face, à cette femme!
V
MONSIEUR PRUDHOMME
Il est grave: il est maire et père de famille.?Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux,?Dans un rêve sans fin, flottent insoucieux?Et le printemps en fleurs sur ses pantoufles brille.
Que lui fait l'astre d'or, que lui fait la charmille?Où l'oiseau chante à l'ombre, et que lui font les cieux,?Et les prés verts et les gazons silencieux??Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille
Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu.?Il est juste-milieu, botaniste et pansu,?Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,
Ces fainéants barbus, mal peignés, il les a?Plus en horreur que son éternel coryza,?Et le printemps en fleurs brille sur ses pantoufles.
INITIUM
Les violons mêlaient leur rire du chant des fl?tes,?Et le bal tournoyait quand je la vis passer?Avec ses cheveux blonds jouant sur les volutes?De son oreille où mon Désir comme un baiser?S'élan?ait et voulait lui parler sans oser.
Cependant elle allait, et la mazurque lente?La portait dans son rythme indolent comme un vers,?--Rime mélodieuse, image étincelante,--?Et son ame d'enfant rayonnait à travers?La sensuelle ampleur de ses yeux gris et verts.
Et depuis, ma Pensée--immobile--contemple?Sa Splendeur évoquée, en adoration,?Et, dans son Souvenir, ainsi que dans un temple,?Mon Amour entre, plein de superstition.
Et je crois que voici venir la Passion.
?AVITRI
(MAHA-BRAHATA)
Pour sauver son époux, ?avitri fit le voeu?De se tenir trois jours entiers, trois nuits entières,?Debout, sans remuer jambes, buste ou paupières:?Rigide, ainsi que dit Vya?a, comme un pieu.
Ni, Curya, tes rais cruels, ni la langueur?Que Tchandra vient épandre à minuit sur les cimes?Ne firent défaillir, dans leurs efforts sublimes,?La pensée et la chair de la femme au grand coeur.
--Que nous cerne l'Oubli, noir et morne assassin,?Ou que l'Envie aux traits amers nous ait pour cibles.?Ainsi que ?avitri faisons-nous impassibles,?Mais, comme elle, dans l'ame ayons un haut dessein.
SUB URBE
Les petits ifs du cimetière?Frémissent au vent hiémal,?Dans la glaciale lumière.
Avec des bruits sourds qui font mal,?Les croix de bois des tombes neuves?Vibrent sur un ton anormal.
Silencieux comme les fleuves,?Mais gros de pleurs comme eux de flots,?Les fils, les mères elles veuves,
Par les détours du triste enclos,?S'écoulent,--lente théorie,?Au rythme heurté des sanglots.
Le sol sous les pieds glisse et crie,?Là-haut de grands nuages tors?S'échevèlent avec furie.
Pénétrant comme le remords,?Tombe un froid lourd qui vous écoeure,?Et qui doit filtrer chez les morts,
Chez les pauvres morts, à toute heure?Seuls, et sans cesse grelottants,?--Qu'on les oublie ou qu'on les pleure!--
Ah! vienne vite le Printemps,?Et son clair soleil qui caresse,?Et ses doux oiseaux caquetants!
Refleurisse l'enchanteresse?Gloire des jardins et des champs?Que l'apre hiver tient en détresse!
Et que,--des levers aux couchants,?L'or dilaté d'un ciel sans bornes?Berce de parfums et de chants,
Chers endormis, vos sommeils mornes!
SéRéNADE
Comme la voix d'un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,?Ma?tresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.
Ouvre ton ame et ton oreille au son
De la mandoline:?Pour toi j'ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et caline.
Je chanterai tes yeux d'or et d'onyx
Purs de toutes ombres,?Puis le Léthé de ton sein, puis le Styx
De tes cheveux sombres.
Comme la voix d'un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,?Ma?tresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.
Puis je louerai beaucoup, comme il convient,
Cette chair bénie?Dont le parfum opulent me revient
Les nuits d'insomnie.
Et pour finir, je dirai le baiser
De ta lèvre rouge,?Et ta douceur à me martyriser,
--Mon Ange!--ma Gouge!
Ouvre ton ame et ton oreille au son
De ma mandoline:?Pour toi j'ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et caline.
UN DAHLIA
Courtisane au sein dur, à l'oeil opaque et brun?S'ouvrant avec lenteur comme celui d'un boeuf,?Ton grand torse reluit ainsi qu'un marbre neuf.
Fleur grasse et riche, autour de toi ne flotte aucun?Ar?me, et la beauté sereine de ton corps?Déroule, mate, ses impeccables accords.
Tu ne sens même pas la chair, ce go?t qu'au moins?Exhalent celles-là qui vont fanant les foins,?Et tu tr?nes, Idole insensible à l'encens.
--Ainsi le Dahlia, roi vêtu de splendeur;?élève, sans orgueil, sa tête sans odeur,?Irritant au milieu des jasmins aga?ants!
NEVERMORE
Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice,?Redresse et
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