Oeuvres complètes, v 4-5 | Page 7

Alfred de Musset
MAURICE.
Celui qui se croit le droit de plaisanter doit savoir se défendre. A votre place, je prendrais une épée.
LORENZO.
Si on vous a dit que j'étais un soldat, c'est une erreur, je suis un pauvre amant de la science.
SIRE MAURICE.
Votre esprit est une épée acérée, mais flexible. C'est une arme trop vile; chacun fait usage des siennes.
Il tire son épée.
VALORI.
Devant le duc, l'épée nue!
LE DUC, riant.
Laissez faire, laissez faire. Allons, Renzo, je veux te servir de témoin; qu'on lui donne une épée!
LORENZO.
Monseigneur, que dites-vous là?
LE DUC.
Eh bien! ta gaieté s'évanouit si vite? Tu trembles, cousin? Fi donc! tu fais honte au nom des Médicis. Je ne suis qu'un batard, et je le porterais mieux que toi, qui es légitime! Une épée, une épée! un Médicis ne se laisse point provoquer ainsi. Pages, montez ici; toute la cour le verra, et je voudrais que Florence entière y f?t.
LORENZO.
Son Altesse se rit de moi.
LE DUC.
J'ai ri tout à l'heure, mais maintenant je rougis de honte. Une épée!
Il prend l'épée d'un page et la présente à Lorenzo.
VALORI.
Monseigneur, c'est pousser trop loin les choses. Une épée tirée en présence de Votre Altesse est un crime punissable dans l'intérieur du palais.
LE DUC.
Qui parle ici, quand je parle?
VALORI.
Votre Altesse ne peut avoir eu d'autre dessein que celui de s'égayer un instant, et sire Maurice lui-même n'a point agi dans une autre pensée.
LE DUC.
Et vous ne voyez pas que je plaisante encore! Qui diable pense ici à une affaire sérieuse? Regardez Renzo, je vous en prie: ses genoux tremblent; il serait devenu pale, s'il pouvait le devenir. Quelle contenance, juste Dieu! je crois qu'il va tomber.
Lorenzo chancelle; il s'appuie sur la balustrade et glisse à terre tout d'un coup.
LE DUC, riant aux éclats.
Quand je vous le disais! personne ne le sait mieux que moi; la seule vue d'une épée le fait trouver mal. Allons! chère Lorenzetta, fais-toi emporter chez ta mère.
Les pages relèvent Lorenzo.
SIRE MAURICE.
Double poltron! fils de catin!
LE DUC.
Silence! sire Maurice; pesez vos paroles, c'est moi qui vous le dis maintenant; pas de ces mots-là devant moi.
Sire Maurice sort.
VALORI.
Pauvre jeune homme!
LE CARDINAL, resté seul avec le duc.
Vous croyez à cela, monseigneur?
LE DUC.
Je voudrais bien savoir comment je n'y croirais pas.
LE CARDINAL.
Hum! c'est bien fort.
LE DUC.
C'est justement pour cela que j'y crois. Vous figurez-vous qu'un Médicis se déshonore publiquement, par partie de plaisir? D'ailleurs ce n'est pas la première fois que cela lui arrive; jamais il n'a pu voir une épée.
LE CARDINAL.
C'est bien fort, c'est bien fort!
Ils sortent.
SCèNE V
Devant l'église de Saint-Miniato à Montolivet.--La foule sort de l'église.
UNE FEMME, à sa voisine.
Retournez-vous ce soir à Florence?
LA VOISINE.
Je ne reste jamais plus d'une heure ici, et je n'y viens jamais qu'un seul vendredi[B]; je ne suis pas assez riche pour m'arrêter à la foire; ce n'est pour moi qu'une affaire de dévotion, et que cela suffise pour mon salut, c'est tout ce qu'il me faut.
[Note B: On allait à Montolivet tous les vendredis de certains mois: c'était à Florence ce que Longchamp était autrefois à Paris: les marchands y trouvaient l'occasion d'une foire et y transportaient leurs boutiques. (Note de l'auteur.)]
UNE DAME DE LA COUR, à une autre.
Comme il a bien prêché! c'est le confesseur de ma fille.
Elle s'approche d'une boutique.
Blanc et or, cela fait bien le soir; mais le jour, le moyen d'être propre avec cela!
Le marchand et l'orfèvre devant leurs boutiques avec quelques cavaliers.
L'ORFèVRE.
La citadelle! voilà ce que le peuple ne souffrira jamais, voir tout d'un coup s'élever sur la ville cette nouvelle tour de Babel, au milieu du plus maudit baragouin; les Allemands ne pousseront jamais à Florence, et pour les y greffer, il faudra un vigoureux lien.
LE MARCHAND.
Voyez, mesdames; que Vos Seigneuries acceptent un tabouret sous mon auvent.
UN CAVALIER.
Tu es du vieux sang florentin, père Mondella; la haine de la tyrannie fait encore trembler tes doigts ridés sur tes ciselures précieuses, au fond de ton cabinet de travail.
L'ORFèVRE.
C'est vrai, Excellence. Si j'étais un grand artiste, j'aimerais les princes, parce qu'eux seuls peuvent faire entreprendre de grands travaux; les grands artistes n'ont pas de patrie; moi, je fais des saints ciboires et des poignées d'épée.
UN AUTRE CAVALIER.
A propos d'artiste, ne voyez-vous pas dans ce petit cabaret ce grand gaillard qui gesticule devant des badauds? Il frappe son verre sur la table; si je ne me trompe, c'est ce hableur de Cellini.
LE PREMIER CAVALIER.
Allons-y donc, et entrons; avec un verre de vin dans la tête, il est curieux à entendre, et probablement quelque bonne histoire est en train.
Ils sortent.--Deux bourgeois s'assoient.
PREMIER BOURGEOIS.
Il y a eu une émeute à Florence?
DEUXIèME BOURGEOIS.
Presque rien.--Quelques pauvres jeunes gens ont été tués sur le Vieux-Marché.
PREMIER BOURGEOIS.
Quelle pitié pour les familles!
DEUXIèME BOURGEOIS.
Voilà des malheurs inévitables. Que voulez-vous que fasse la jeunesse d'un gouvernement comme le n?tre? On vient crier à son de trompe que César est à Bologne, et les badauds répètent: ?César
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