est à Bologne,? en clignant des yeux d'un air d'importance, sans réfléchir à ce qu'on y fait. Le jour suivant, ils sont plus heureux encore d'apprendre et de répéter: ?Le pape est à Bologne avec César.? Que s'ensuit-il? Une réjouissance publique, ils n'en voient pas davantage; et puis un beau matin ils se réveillent tout endormis des fumées du vin impérial, et ils voient une figure sinistre à la grande fenêtre du palais des Pazzi. Ils demandent quel est ce personnage, on leur répond que c'est leur roi. Le pape et l'empereur sont accouchés d'un batard qui a droit de vie et de mort sur nos enfants, et qui ne pourrait pas nommer sa mère.
L'ORFèVRE, s'approchant.
Vous parlez en patriote, ami; je vous conseille de prendre garde à ce flandrin.
Passe un officier allemand.
L'OFFICIER.
?tez-vous de là, messieurs; des dames veulent s'asseoir.
Deux dames de la cour entrent et s'assoient.
PREMIèRE DAME.
Cela est de Venise?
LE MARCHAND.
Oui, Magnifique Seigneurie; vous en lèverai-je quelques aunes?
PREMIèRE DAME.
Si tu veux. J'ai cru voir passer Julien Salviati.
L'OFFICIER.
Il va et vient à la porte de l'église; c'est un galant.
DEUXIèME DAME.
C'est un insolent. Montrez-moi des bas de soie.
L'OFFICIER.
Il n'y en aura pas d'assez petits pour vous.
PREMIèRE DAME.
Laissez donc, vous ne savez que dire. Puisque vous voyez Julien, allez lui dire que j'ai à lui parler.
L'OFFICIER.
J'y vais et je le ramène.
Il sort.
PREMIèRE DAME.
Il est bête à faire plaisir, ton officier; que peux-tu faire de cela?
DEUXIèME DAME.
Tu sauras qu'il n'y a rien de mieux que cet homme-là.
Elles s'éloignent.--Entre le prieur de Capoue.
LE PRIEUR.
Donnez-moi un verre de limonade, brave homme.
Il s'assoit.
UN DES BOURGEOIS.
Voilà le prieur de Capoue; c'est là un patriote!
Les deux bourgeois se rassoient.
LE PRIEUR.
Vous venez de l'église, messieurs? que dites-vous du sermon?
LE BOURGEOIS.
Il était beau, seigneur prieur.
DEUXIèME BOURGEOIS, à l'orfèvre.
Cette noblesse des Strozzi est chère au peuple, parce qu'elle n'est pas fière. N'est-il pas agréable de voir un grand seigneur adresser librement la parole à ses voisins d'une manière affable? Tout cela fait plus qu'on ne pense.
LE PRIEUR.
S'il faut parler franchement, j'ai trouvé le sermon trop beau; j'ai prêché quelquefois, et je n'ai jamais tiré grande gloire du tremblement des vitres; mais une petite larme sur la joue d'un brave homme m'a toujours été d'un grand prix.
Entre Salviati.
SALVIATI.
On m'a dit qu'il y avait ici des femmes qui me demandaient tout à l'heure; mais je ne vois de robe ici que la v?tre, prieur. Est-ce que je me trompe?
LE MARCHAND.
Excellence, on ne vous a pas trompé. Elles se sont éloignées; mais je pense qu'elles vont revenir. Voilà dix aunes d'étoffes et quatre paires de bas pour elles.
SALVIATI, s'asseyant.
Voilà une jolie femme qui passe.--Où diable l'ai-je donc vue?--Ah! parbleu! c'est dans mon lit.
LE PRIEUR, au bourgeois.
Je crois avoir vu votre signature sur une lettre adressée au duc.
LE BOURGEOIS.
Je le dis tout haut: c'est la supplique adressée par les bannis.
LE PRIEUR.
En avez-vous dans votre famille?
LE BOURGEOIS.
Deux, Excellence: mon père et mon oncle; il n'y a plus que moi d'homme à la maison.
LE DEUXIèME BOURGEOIS, à l'orfèvre.
Comme ce Salviati a une méchante langue!
L'ORFèVRE.
Cela n'est pas étonnant: un homme à moitié ruiné, vivant des générosités de ces Médicis, et marié comme il l'est à une femme déshonorée partout! Il voudrait qu'on d?t de toutes les femmes possibles ce qu'on dit de la sienne.
SALVIATI.
N'est-ce pas Louise Strozzi qui passe sur ce tertre?
LE MARCHAND.
Elle-même, Seigneurie. Peu des dames de notre noblesse me sont inconnues. Si je ne me trompe, elle donne la main à sa soeur cadette.
SALVIATI.
J'ai rencontré cette Louise la nuit dernière au bal de Nasi; elle a, ma foi, une jolie jambe, et nous devons coucher ensemble au premier jour.
LE PRIEUR, se retournant.
Comment l'entendez-vous?
SALVIATI.
Cela est clair, elle me l'a dit. Je lui tenais l'étrier, ne pensant guère à malice; je ne sais par quelle distraction je lui pris la jambe, et voilà comme tout est venu.
LE PRIEUR.
Julien, je ne sais pas si tu sais que c'est de ma soeur que tu parles.
SALVIATI.
Je le sais très bien; toutes les femmes sont faites pour coucher avec les hommes, et ta soeur peut bien coucher avec moi.
LE PRIEUR se lève.
Vous dois-je quelque chose, brave homme?
Il jette une pièce de monnaie sur la table et sort.
SALVIATI.
J'aime beaucoup ce brave prieur, à qui un propos sur sa soeur a fait oublier le reste de son argent. Ne dirait-on pas que toute la vertu de Florence s'est réfugiée chez ces Strozzi? Le voilà qui se retourne. écarquille les yeux tant que tu voudras, tu ne me feras pas peur.
Il sort.
SCèNE VI.
Le bord de l'Arno.
MARIE SODERINI, CATHERINE.
CATHERINE.
Le soleil commence à baisser. De larges bandes de pourpre traversent le feuillage, et la grenouille fait sonner sous les roseaux sa petite cloche de cristal. C'est une singulière chose que toutes les harmonies du soir avec le bruit lointain de cette ville.
MARIE.
Il est temps de rentrer; noue ton voile autour de ton cou.
CATHERINE.
Pas encore, à moins que vous
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