père, pour t'en aller?
LE MARQUIS.
Viens avec moi dans la cour, tu le verras.
Il sort.--La marquise reste seule avec le cardinal.--Un silence.
LE CARDINAL.
N'est-ce pas aujourd'hui que vous m'avez demandé d'entendre votre confession, marquise?
LA MARQUISE.
Dispensez-m'en, cardinal. Ce sera pour ce soir, si Votre éminence est libre, ou demain, comme elle voudra.--Ce moment-ci n'est pas à moi.
Elle se met à la fenêtre et fait un signe d'adieu à son mari.
LE CARDINAL.
Si les regrets étaient permis à un fidèle serviteur de Dieu, j'envierais le sort de mon frère.--Un si court voyage, si simple, si tranquille!--une visite à une de ses terres qui n'est qu'à quelques pas d'ici!--une absence d'une semaine,--et tant de tristesse, une si douce tristesse, veux-je dire, à son départ! Heureux celui qui sait se faire aimer ainsi après sept années de mariage!--N'est-ce pas sept années, marquise?
LA MARQUISE.
Oui, cardinal; mon fils a six ans.
LE CARDINAL.
étiez-vous hier à la noce des Nasi?
LA MARQUISE.
Oui, j'y étais.
LE CARDINAL.
Et le duc en religieuse?
LA MARQUISE.
Pourquoi le duc en religieuse?
LE CARDINAL.
On m'avait dit qu'il avait pris ce costume; il se peut qu'on m'ait trompé.
LA MARQUISE.
Il l'avait en effet. Ah! Malaspina, nous sommes dans un triste temps pour toutes les choses saintes!
LE CARDINAL.
On peut respecter les choses saintes, et, dans un jour de folie, prendre le costume de certains couvents, sans aucune intention hostile à la sainte église catholique.
LA MARQUISE.
L'exemple est à craindre, et non l'intention. Je ne suis pas comme vous; cela m'a révoltée. Il est vrai que je ne sais pas bien ce qui se peut et ce qui ne se peut pas, selon vos règles mystérieuses. Dieu sait où elles mènent. Ceux qui mettent les mots sur leur enclume, et qui les tordent avec un marteau et une lime, ne réfléchissent pas toujours que ces mots représentent des pensées, et ces pensées des actions.
LE CARDINAL.
Bon, bon! le duc est jeune, marquise, et gageons que cet habit coquet des nonnes lui allait à ravir.
LA MARQUISE.
On ne peut mieux; il n'y manquait que quelques gouttes du sang de son cousin, Hippolyte de Médicis.
LE CARDINAL.
Et le bonnet de la Liberté, n'est-il pas vrai, petite soeur? Quelle haine pour ce pauvre duc!
LA MARQUISE.
Et vous, son bras droit, cela vous est égal que le duc de Florence soit le préfet de Charles-Quint, le commissaire civil du pape, comme Baccio est son commissaire religieux? Cela vous est égal, à vous, frère de mon Laurent, que notre soleil, à nous, promène sur la citadelle des ombres allemandes? que César parle ici dans toutes les bouches? que la débauche serve d'entremetteuse à l'esclavage, et secoue ses grelots sur les sanglots du peuple? Ah! le clergé sonnerait au besoin toutes ses cloches pour en étouffer le bruit et pour réveiller l'aigle impérial, s'il s'endormait sur nos pauvres toits.
Elle sort.
LE CARDINAL, seul, soulève la tapisserie et appelle à voix basse.
Agnolo!
Entre un page.
Quoi de nouveau aujourd'hui?
AGNOLO.
Cette lettre, monseigneur.
LE CARDINAL.
Donne-la-moi.
AGNOLO.
Hélas! éminence, c'est un péché.
LE CARDINAL.
Rien n'est un péché quand on obéit à un prêtre de l'église romaine.
Agnolo remet la lettre.
Cela est comique d'entendre les fureurs de cette pauvre marquise, et de la voir courir à un rendez-vous d'amour avec le cher tyran, toute baignée de larmes républicaines.
Il ouvre la lettre et lit.
?Ou vous serez à moi, ou vous aurez fait mon malheur, le v?tre et celui de nos deux maisons.?
Le style du duc est laconique, mais il ne manque pas d'énergie. Que la marquise soit convaincue ou non, voilà le difficile à savoir. Deux mois de cour presque assidue, c'est beaucoup pour Alexandre; ce doit être assez pour Ricciarda Cibo.
Il rend la lettre au page.
Remets cela chez ta ma?tresse; tu es toujours muet, n'est-ce pas? Compte sur moi.
Il lui donne sa main à baiser et sort.
SCèNE IV
Une cour du palais du duc.
LE DUC ALEXANDRE, sur une terrasse; des pages exercent des chevaux dans la cour. Entrent VALORI ET SIRE MAURICE.
LE DUC, à Valori.
Votre éminence a-t-elle re?u ce matin des nouvelles de la cour de Rome?
VALORI.
Paul III envoie mille bénédictions à Votre Altesse, et fait les voeux les plus ardents pour sa prospérité.
LE DUC.
Rien que des voeux, Valori?
VALORI.
Sa Sainteté craint que le duc ne se crée de nouveaux dangers par trop d'indulgence. Le peuple est mal habitué à la domination absolue; et César, à son dernier voyage, en a dit autant, je crois, à Votre Altesse.
LE DUC.
Voilà, pardieu! un beau cheval, sire Maurice! Eh! quelle croupe de diable!
SIRE MAURICE.
Superbe, Altesse.
LE DUC.
Ainsi, monsieur le commissaire apostolique, il y a encore quelques mauvaises branches à élaguer. César et le pape ont fait de moi un roi; mais, par Bacchus, ils m'ont mis dans la main une espèce de sceptre qui sent la hache d'une lieue. Allons! voyons, Valori, qu'est-ce que c'est?
VALORI.
Je suis un prêtre, Altesse; si les paroles que mon devoir me force à vous rapporter fidèlement doivent être interprétées d'une manière aussi sévère, mon coeur me défend d'y ajouter un
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