bon Dieu protège la ville! Il en sort tous les jours de nouveaux, de ces chiens d'Allemands, de leur damnée forteresse.
LA FEMME.
Regarde donc le joli masque. Ah! la belle robe! Hélas! tout cela co?te très cher, et nous sommes bien pauvres à la maison.
Ils sortent.
UN SOLDAT, au marchand.
Gare, canaille! laisse passer les chevaux.
LE MARCHAND.
Canaille toi-même, Allemand du diable!
Le soldat le frappe de sa pique.
LE MARCHAND, se retirant.
Voilà comme on suit la capitulation! Ces gredins-là maltraitent les citoyens.
Il rentre chez lui.
L'éCOLIER, à son camarade.
Vois-tu celui-là qui ?te son masque? C'est Palla Ruccellai. Un fier luron! Ce petit-là, à c?té de lui, c'est Thomas Strozzi, Masaccio, comme on dit.
UN PAGE, criant.
Le cheval de son Altesse!
LE SECOND éCOLIER.
Allons-nous-en, voilà le duc qui sort.
LE PREMIER éCOLIER.
Crois-tu pas qu'il va te manger?
La foule s'augmente à la porte.
L'éCOLIER.
Celui-là, c'est Nicolini; celui-là, c'est le provéditeur.
Le duc sort, vêtu en religieuse, avec Julien Salviati, habillé de même, tous deux masqués.
LE DUC, montant à cheval.
Viens-tu, Julien?
SALVIATI.
Non, Altesse, pas encore.
Il lui parle à l'oreille.
LE DUC.
Bien, bien, ferme!
SALVIATI.
Elle est belle comme un démon.--Laissez-moi faire; si je peux me débarrasser de ma femme...
Il rentre dans le bal.
LE DUC.
Tu es gris, Salviati; le diable m'emporte! tu vas de travers.
Il part avec sa suite.
L'éCOLIER.
Maintenant que voilà le duc parti, il n'y en a pas pour longtemps.
Les masques sortent de tous c?tés.
LE SECOND éCOLIER.
Rose, vert, bleu, j'en ai plein les yeux; la tête me tourne.
UN BOURGEOIS.
Il para?t que le souper a duré longtemps: en voilà deux qui ne peuvent plus se tenir.
Le provéditeur monte à cheval; une bouteille cassée lui tombe sur l'épaule.
LE PROVéDITEUR.
Eh! ventrebleu! quel est l'assommeur, ici?
UN MASQUE.
Eh! ne le voyez-vous pas, seigneur Corsini? Tenez! regardez à la fenêtre; c'est Lorenzo avec sa robe de nonne.
LE PROVéDITEUR.
Lorenzaccio, le diable soit de toi! tu as blessé mon cheval.
La fenêtre se ferme.
Peste soit de l'ivrogne et de ses farces silencieuses! un gredin qui n'a pas souri trois fois dans sa vie, et qui passe le temps à des espiègleries d'écolier en vacances.
Il sort.--Louise Strozzi sort de la maison, accompagnée de Julien Salviati; il lui tient l'étrier. Elle monte à cheval; un écuyer et une gouvernante la suivent.
SALVIATI.
La jolie jambe, chère fille! Tu es un rayon de soleil, et tu as br?lé la moelle de mes os.
LOUISE.
Seigneur, ce n'est pas là le langage d'un cavalier.
SALVIATI.
Quels yeux tu as, mon cher coeur! quelle belle épaule à essuyer, tout humide et si fra?che! Que faut-il te donner pour être ta camériste cette nuit? Le joli pied à déchausser!
LOUISE.
Lache mon pied, Salviati.
SALVIATI.
Non, par le corps de Bacchus! jusqu'à ce que tu m'aies dit quand nous coucherons ensemble.
Louise frappe son cheval et part au galop.
UN MASQUE, à Salviati.
La petite Strozzi s'en va rouge comme la braise;--vous l'avez fachée, Salviati.
SALVIATI.
Baste! colère de jeune fille et pluie du matin...
Il sort.
SCèNE III
Chez le marquis de Cibo.
LE MARQUIS, en habit de voyage, LA MARQUISE, ASCANIO, LE CARDINAL CIBO, assis.
LE MARQUIS, embrassant son fils.
Je voudrais pouvoir t'emmener, petit, toi et ta grande épée qui te tra?ne entre les jambes. Prends patience: Massa n'est pas bien loin, et je te rapporterai un bon cadeau.
LA MARQUISE.
Adieu, Laurent; revenez, revenez!
LE CARDINAL.
Marquise, voilà des pleurs qui sont de trop. Ne dirait-on pas que mon frère part pour la Palestine? Il ne court pas grand danger dans ses terres, je crois.
LE MARQUIS.
Mon frère, ne dites pas de mal de ces belles larmes.
Il embrasse sa femme.
LE CARDINAL.
Je voudrais seulement que l'honnêteté n'e?t pas cette apparence.
LA MARQUISE.
L'honnêteté n'a-t-elle point de larmes, monsieur le cardinal? sont-elles toutes au repentir ou à la crainte?
LE MARQUIS.
Non, par le ciel! car les meilleures sont à l'amour. N'essuyez pas celles-ci sur mon visage, le vent s'en chargera en route: qu'elles se sèchent lentement! Eh bien! ma chère, vous ne me dites rien pour vos favoris? n'emporterai-je pas, comme de coutume, quelque belle harangue sentimentale à faire de votre part aux roches et aux cascades de mon vieux patrimoine?
LA MARQUISE.
Ah! mes pauvres cascatelles!
LE MARQUIS.
C'est la vérité, ma chère ame, elles sont toutes tristes sans vous. (Plus bas.) Elles ont été joyeuses autrefois, n'est-il pas vrai, Ricciarda?
LA MARQUISE.
Emmenez-moi!
LE MARQUIS.
Je le ferais si j'étais fou, et je le suis presque, avec ma vieille mine de soldat. N'en parlons plus;--ce sera l'affaire d'une semaine. Que ma chère Ricciarda voie ses jardins quand ils sont tranquilles et solitaires; les pieds boueux de mes fermiers ne laisseront pas de trace dans ses allées chéries. C'est à moi de compter mes vieux troncs d'arbres qui me rappellent ton père Albéric, et tous les brins d'herbe de mes bois; les métayers et leurs boeufs, tout cela me regarde. A la première fleur que je verrai pousser, je mets tout à la porte, et je vous emmène alors.
LA MARQUISE.
La première fleur de notre belle pelouse m'est toujours chère. L'hiver est si long! Il me semble toujours que ces pauvres petites ne reviendront jamais.
ASCANIO.
Quel cheval as-tu, mon
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