ses yeux de houri et la matit�� d'un teint o�� l'��t�� ne mettait pas une rougeur.
-- Voyons, ma ch��re Rosalie, faisait Roumestan, qui tenait �� convaincre sa femme, levez-vous et regardez ?a... Paris vous a-t- il jamais rien montr�� de pareil?
Dans l'immense th��atre ��largi en ellipse et qui d��coupait un grand morceau de bleu, des milliers de visages se serraient sur les gradins en ��tages avec le pointillement vif des regards, le reflet vari��, le papillotage des toilettes de f��te et des costumes pittoresques. De l��, comme d'une cuve gigantesque, montaient des hu��es joyeuses, des ��clats de voix et de fanfares volatilis��s, pour ainsi dire, par l'intense lumi��re du soleil. �� peine distincte aux ��tages inf��rieurs o�� poudroyaient le sable et les haleines, cette rumeur s'accentuait en montant, se d��pouillait dans l'air pur. On distinguait surtout le cri des marchands de pains au lait qui promenaient de gradin en gradin leur corbeille drap��e de linges blancs: ?Li pan ou la... li pan ou la!? Et les revendeuses d'eau fra?che, balan?ant leurs cruches vertes et vernies, vous donnaient soif de les entendre glapir: ?_L'aigo es fresco... Quau vo�� be��re?..._? L'eau est fra?che... Qui veut boire?...
Puis, tout en haut, des enfants, courant et jouant �� la cr��te des ar��nes, promenaient sur ce grand brouhaha une couronne de sons aigus au niveau d'un vol de martinets, dans le royaume des oiseaux. Et sur tout cela quels admirables jeux de lumi��re, �� mesure que -- le jour s'avan?ant -- le soleil tournait lentement dans la rondeur du vaste amphith��atre comme sur le disque d'un cadran solaire, reculant la foule, la groupant dans la zone de l'ombre, faisant vides les places expos��es �� la trop vive chaleur, des esp��ces de dalles rousses s��par��es d'herbes s��ches o�� des incendies successifs ont marqu�� des traces noires.
Parfois, aux ��tages sup��rieurs, une pierre se d��tachait du vieux monument, sous une pouss��e de monde, roulait d'��tage en ��tage au milieu des cris de terreur, des bousculades, comme si tout le cirque croulait; et c'��tait sur les gradins un mouvement pareil �� l'assaut d'une falaise par la mer en furie, car chez cette race exub��rante l'effet n'est jamais en rapport avec la cause, grossie par des visions, des perceptions disproportionn��es.
Ainsi peupl��e et anim��e, la ruine semblait revivre, perdait sa physionomie de monument �� cic��rone. On avait, en la regardant, la sensation que donne une strophe de Pindare r��cit��e par un Ath��nien de maintenant, c'est-��-dire la langue morte redevenue vivante, n'ayant plus son aspect scolastique et froid. Ce ciel si pur, ce soleil d'argent vaporis��, ces intonations latines conserv��es dans l'idiome proven?al, ?�� et l�� -- surtout aux petites places -- des attitudes �� l'entr��e d'une vo?te, des poses immobiles que la vibration de l'air faisait antiques, presque sculpturales, le type de l'endroit, ces t��tes frapp��es comme des m��dailles avec le nez court et busqu��, les larges joues rases, le menton retourn�� de Roumestan, tout compl��tait l'illusion d'un spectacle romain, jusqu'au beuglement des vaches landaises en ��cho dans les souterrains d'o�� sortaient jadis les lions et les ��l��phants de combat. Aussi, quand sur le cirque vide et tout jaune de sable s'ouvrait l'��norme trou noir du podium, ferm�� d'une claire-voie, on s'attendait �� voir bondir les fauves au lieu du pacifique et champ��tre d��fil�� de b��tes et de gens couronn��s au concours.
�� pr��sent c'��tait le tour des mules harnach��es, men��es �� la main, couvertes de somptueuses sparteries proven?ales, portant haut leurs petites t��tes s��ches orn��es de clochettes d'argent, de pompons, de noeuds, de bouffettes, et ne s'effrayant pas des grands coups de fouet coupants et clairs, en p��tards, en serpenteaux, des muletiers debout sur chacune d'elles. Dans la foule, chaque village reconnaissait ses laur��ats, les annon?ait �� voix haute:
?Voil�� Cavaillon... Voil�� Maussane...?
La longue file somptueuse se d��roulait tout autour de l'ar��ne qu'elle remplissait d'un cliquetis ��tincelant, de sonneries lumineuses; s'arr��tait devant la loge de Roumestan, accordant une minute en aubade d'honneur ses coups de fouet et ses sonnailles, puis continuait sa marche circulaire, sous la direction d'un beau cavalier, en collant clair et bottes montantes, un des messieurs du Cercle, organisateur de la f��te, qui gatait tout sans s'en douter, m��lant la province �� la Provence, donnant �� ce curieux spectacle local un vague aspect de cavalcade de Franconi. Du reste, �� part quelques gens de campagne, personne ne regardait. On n'avait d'yeux que pour l'estrade municipale, envahie depuis un moment par une foule de personnes venant saluer Numa, des amis, des clients, d'anciens camarades de coll��ge, fiers de leurs relations avec le grand homme et de les montrer l�� sur ces tr��teaux, bien en vue.
Le flot succ��dait sans interruption. Il y en avait des vieux, des jeunes, des gentilshommes de campagne en complet gris de la gu��tre au petit chapeau, des chefs d'ateliers endimanch��s dans leurs redingotes marqu��es de plis, des

Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.