Numa Roumestan | Page 2

Alphonse Daudet
populeux, comme aux jours de march��; le soir, les caf��s, bourr��s de monde, restent ouverts bien avant dans la nuit, et les vitres du Cercle des Blancs, ��clair��es �� des heures indues, s'��branlent sous les ��clats de la voix du Dieu.
Pas proph��te en son pays! Il n'y avait qu'�� voir les ar��nes en ce bleu dimanche de juillet 1875, l'indiff��rence du public pour ce qui se passait dans le cirque, toutes les figures tourn��es du m��me c?t��, ce feu crois�� de tous les regards sur le m��me point, l'estrade municipale, o�� Roumestan ��tait assis au milieu des habits chamarr��s et des soies tendues, multicolores, des ombrelles de c��r��monie. Il n'y avait qu'�� entendre les propos, les cris d'extase, les na?ves r��flexions �� haute voix de ce bon populaire d'Aps, les unes en proven?al, les autres dans un fran?ais barbare, frott�� d'ail, toutes avec cet accent implacable comme le soleil de l��-bas, qui d��coupe et met en valeur chaque syllabe, ne fait pas grace d'un point sur un i.
-- Diou! qu'es b��ou!... Dieu! qu'il est beau!...
-- Il a pris un peu de corps depuis l'an pass��.
-- Il a plus l'air imposant comme ?a.
-- Ne poussez pas tant... Il y en a pour tout le monde.
-- Tu le vois, petit, notre Numa... Quand tu seras grand, tu pourras dire que tu l'as vu, qu��!
-- Toujours son nez Bourbon... Et pas une dent qui lui manque.
-- Et pas de cheveux blancs non plus...
-- T��, pardi!... Il n'est pas d��j�� si vieux... Il est de 32, l'ann��e que Louis-Philippe tomba les croix de la mission, peca?r��.
-- Ah! gueusard de Philippe.
-- Il ne les para?t pas, ses quarante-trois ans.
-- S?r que non, qu'il ne les para?t pas... T��! bel astre...
Et, d'un geste hardi, une grande fille aux yeux de braise lui envoyait, de loin, un baiser sonnant dans l'air comme un cri d'oiseau.
-- Prends garde, Zette... si sa dame te voyait!
-- C'est la bleue, sa dame?
Non, la bleue c'��tait sa belle-soeur, mademoiselle Hortense, une jolie demoiselle qui ne faisait que sortir du couvent et d��j�� ?montait le cheval? comme un dragon. Madame Roumestan ��tait plus pos��e, de meilleure tenue, mais elle avait l'air bien plus fier. Ces dames de Paris, ?a s'en croit tant! Et, dans le pittoresque effront�� de leur langue �� demi-latine, les femmes, debout, les mains en abat-jour au-dessus des yeux, d��taillaient tout haut les deux Parisiennes, leurs petits chapeaux de voyage, leurs robes collantes, sans bijoux, d'un si grand contraste avec les toilettes locales: cha?nes d'or, jupes vertes, rouges, arrondies de tournures ��normes. Les hommes ��num��raient les services rendus par Numa �� la bonne cause, sa lettre �� l'empereur, son discours pour le drapeau blanc. Ah! si on en avait eu une douzaine comme lui �� la Chambre, Henri V serait sur le tr?ne depuis longtemps.
Enivr�� de ces rumeurs, soulev�� par cet enthousiasme ambiant, le bon Numa ne tenait pas en place. Il se renversait sur son large fauteuil, les yeux clos, la face ��panouie; se jetait d'un c?t�� sur l'autre; puis bondissait, arpentait la tribune �� grands pas, se penchait un moment vers le cirque, humait cette lumi��re, ces cris, et revenait �� sa place, familier, bon enfant, la cravate lache, sautait �� genoux sur son si��ge, et le dos et les semelles �� la foule, parlait �� ces Parisiennes assises en arri��re et au-dessus de lui, tachait de leur communiquer sa joie.
Madame Roumestan s'ennuyait. Cela se voyait �� une expression de d��tachement, d'indiff��rence sur son visage aux belles lignes d'une froideur un peu hautaine, quand l'��clair spirituel de deux yeux gris, de deux yeux de perle, ces vrais yeux de Parisienne, le sourire entr'ouvert d'une bouche ��tincelante ne l'animait pas.
Ces gaiet��s m��ridionales, faites de turbulence, de familiarit��; cette race verbeuse, tout en dehors, en surface, �� l'oppos�� de sa nature si intime et s��rieuse, la froissaient, peut-��tre, sans qu'elle s'en rend?t bien compte, parce qu'elle retrouvait dans ce peuple le type multipli��, vulgaris��, de l'homme �� c?t�� de qui elle vivait depuis dix ans et qu'�� ses d��pens elle avait appris �� conna?tre. Le ciel non plus ne la ravissait pas, excessif d'��clat, de chaleur r��verb��r��e. Comment faisaient-ils pour respirer, tous ces gens-l��? O�� trouvaient-ils du souffle pour tant de cris? Et elle se prenait �� r��ver tout haut d'un joli ciel parisien, gris et brouill��, d'une fra?che ond��e d'avril sur les trottoirs luisants.
-- Oh! Rosalie, si l'on peut dire...
Sa soeur et son mari s'indignaient; sa soeur surtout, une grande jeune fille ��blouissante de vie, de sant��, dress��e de toute sa taille pour mieux voir. Elle venait en Provence pour la premi��re fois, et pourtant l'on e?t dit que tout ce train de cris, de gestes dans un soleil italien remuait en elle une fibre secr��te, un instinct engourdi, les origines m��ridionales que r��v��laient ses longs sourcils joints sur
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