chercher avec un soin extrême et de lui en envoyer de la même qualité, à tout prix.?
Jusque-là, l'écriture est assez régulière; mais, à la fin, la plume a craché, comme si une émotion trop forte brisait toutes les digues.
?Pour l'amour de Dieu, trouvez-m'en de l'ancienne!?
?Ceci est assurément l'écriture du docteur, dit Utterson.
--En effet, répond Poole; mais, peu importe son écriture, je l'ai vu....
--Qui donc?
--Je l'ai surpris un jour qu'il était sorti du cabinet et ne se croyait pas observé. Ce n'a été qu'une minute; il s'est sauvé avec une espèce de cri; mais je savais à quoi m'en tenir, et mes cheveux se sont hérissés de crainte. Pourquoi mon ma?tre aurait-il eu un masque sur la figure et pourquoi aurait-il crié en s'enfuyant à ma vue?
--Je crois que je devine, dit Utterson. Mon pauvre ami est atteint, sans doute, d'une maladie qui le défigure autant qu'elle le fait souffrir, et qu'il veut dérober à tous les yeux. De là ce masque qu'il porte pour dissimuler quelque plaie affreuse, de là l'extraordinaire altération de sa voix et l'impatience qu'il a de trouver un remède qui puisse le soulager.
--Non, monsieur, dit Poole résolument, cet être-là n'était pas mon ma?tre; mon ma?tre est grand, solide, celui-là n'était guère qu'un nain. Parbleu! depuis vingt ans, je le connais assez, mon ma?tre! Non, l'homme au masque n'était pas le docteur, et, si vous voulez que je vous dise ce que je crois, un meurtre a été commis.
--Puisque vous parlez ainsi, Poole, mon devoir est de m'assurer des faits. J'enfoncerai cette porte.?
Les deux hommes se munissent d'une hache et d'un tisonnier; ils envoient un valet de pied robuste garder la porte du laboratoire. Une dernière fois, Utterson écoute. Le bruit d'un pas léger se fait à peine entendre sur le tapis.
?Tout le jour et une bonne partie de la nuit, il marche ainsi de long en large, dit le vieux domestique; une mauvaise conscience ne se repose pas. Et une fois... une fois, j'ai entendu qu'il pleurait.... On aurait dit une femme ou une ame en peine. Je ne sais quel poids m'est tombé sur le coeur. J'aurais pleuré aussi.?
Le moment est venu d'agir.
?Jekyll, crie Utterson d'une voix forte, je demande à vous voir.?
Pas de réponse.
?Je vous avertis; nous avons des soup?ons, je dois et je veux vous voir; si ce n'est pas de votre plein gré, ce sera de force....
--Utterson, réplique la voix, pour l'amour de Dieu, ayez pitié!?
Ce n'est pas la voix de Jekyll décidément, c'est celle de Hyde. Quatre fois la hache s'abat sur les panneaux qui résistent; un cri de terreur tout animal a retenti dans le cabinet. Au cinquième coup, la porte brisée livre passage aux assiégeants, qui, consternés du silence qui règne désormais, restent irrésolus sur le seuil. Une lampe éclaire paisiblement ce réduit studieux, un bon feu brille dans l'atre, le thé est préparé sur une petite table; sans les armoires vitrées remplies de produits chimiques, on se croirait dans l'intérieur les plus bourgeois. Mais, au milieu de la chambre, g?t un cadavre, encore palpitant, celui d'Edward Hyde. Il est vêtu d'habits trop grands pour lui, des habits à la taille du docteur. Sa main crispée tient encore une fiole de poison. Il s'est fait justice.
Quant au docteur, on ne le retrouve nulle part; mais, sur la table, auprès d'un ouvrage pieux pour lequel Jekyll avait exprimé à plusieurs reprises beaucoup d'estime, et qui cependant est annoté de sa main avec force blasphèmes, auprès des soucoupes remplies de doses mesurées d'un sel blanc, que Poole reconna?t pour la drogue que son ma?tre l'envoyait toujours demander, il y a des papiers.
En cherchant bien, Utterson découvre un testament qui lui lègue, chose étrange, tout ce qui devait appartenir à Edward Hyde, puis une lettre d'adieu et une confession dont il prend connaissance, après avoir lu le manuscrit du docteur Lanyon.
Ce manuscrit atteste un fait étrange. Le 9 janvier, Lanyon a re?u de son vieux camarade de collège, Henry Jekyll, une lettre chargée qui l'adjure, au nom de leur amitié ancienne, de lui rendre un service duquel dépend son honneur, sa vie. Il s'agit d'aller prendre dans son cabinet de travail, quitte à en forcer la porte, des poudres et une fiole dont il indique exactement la place. Vers minuit un homme qu'il devra recevoir en secret, après avoir renvoyé ses domestiques, viendra lui dire le reste. Lanyon, sans rien comprendre à cet appel, obéit exactement; il se rend chez Jekyll; le vieux Poole, lui aussi, a été averti par lettre chargée. Un serrurier est là qui attend; on pénètre dans le cabinet en for?ant la serrure, on découvre, à l'endroit désigné, des sels quelconques, une teinture rouge qui ressemble à du sang, un cahier qui renferme nombre de dates couvrant une période de beaucoup d'années, avec quelques notes inintelligibles. Lanyon, fort
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