ses recherches. La connaissance qu'il a de l'adresse du meurtrier présumé permet de faire les perquisitions nécessaires. Hyde habite, dans le quartier mal fréquenté de Soho, une rue étroite et sombre, garnie de cabarets où l'on boit du gin, de restaurants fran?ais du plus bas étage, de boutiques borgnes où s'approvisionnent des femmes de mauvaise mine appartenant à toutes les nationalités. C'est dans un pareil milieu que le protégé de Jekyll, héritier d'un quart de million sterling, a élu domicile.
Une vieille femme, aux allures louches, vient ouvrir la porte.
?M. Hyde est, dit-elle, rentré très tard dans la nuit, mais pour ressortir ensuite; il a des habitudes fort irrégulières, et dispara?t parfois un mois ou deux de suite.?
Au nom de la loi, la maison est visitée en détail. Elle est à peu près vide. Hyde n'habite que deux chambres meublées avec luxe; un grand désordre toutefois y règne pour le moment, comme si l'on y avait fait à la hate des préparatifs de fuite: les vêtements tra?nent sur le tapis, les tiroirs sont ouverts. Des cendres grises dans l'atre indiquent que l'on a br?lé des papiers; mais, derrière une porte, les agents découvrent la moitié d'un baton dont l'autre moitié est restée sanglante sur le lieu du crime. Cette canne, d'un bois très rare, a été donnée bien des années auparavant à son ami Jekyll par M. Utterson.
Naturellement, la première impulsion de ce dernier est de courir chez le docteur. Poole, le vieux domestique, l'introduit, en lui faisant traverser la cour qui a été jadis un jardin, dans l'espèce de pavillon que l'on appelle indistinctement le laboratoire ou la salle d'anatomie. Le docteur a autrefois acheté la maison aux héritiers d'un chirurgien, et s'occupe de chimie là où son prédécesseur s'occupait à disséquer. Pour la première fois, le notaire est admis à visiter cette partie de la maison, qui donne sur la petite rue, théatre de sa première rencontre avec Hyde. Il trouve le docteur, dans une vaste chambre garnie d'armoires vitrées, d'un grand bureau et d'une psyché, meuble assez déplacé dans un lieu pareil.
?Savez-vous les nouvelles? lui demande Utterson.
--On les a criées sur la place, répond Jekyll très pale et frissonnant.
--Un mot: j'espère que vous n'avez pas été assez fou pour cacher ce misérable?
--Utterson, s'écrie le docteur, je vous donne ma parole d'honneur que tout est fini entre lui et moi! D'ailleurs, il n'a pas besoin de mon secours, il est en s?reté. Personne n'entendra plus parler de Hyde.?
L'homme de loi est étonné de ces fa?ons véhémentes, presque fiévreuses:
?Vous paraissez bien s?r de lui!
--S?r... absolument. Mais j'aurais besoin de votre conseil. J'ai re?u une lettre, et je me demande si je dois la communiquer à la justice. Décidez... j'ai perdu toute confiance en moi-même.
--Vous craignez que cela n'aide à découvrir?...
--Non, peu m'importe ce que deviendra Hyde. Je pensais à ma propre réputation, que cette triste affaire met en péril.?
Utterson, surpris de ce soudain accès d'égo?sme, demande à voir la lettre; elle est d'une écriture renversée très singulière et con?ue dans des termes respectueux. Hyde exprime brièvement son repentir, en s'excusant auprès du protecteur dont il a si mal reconnu les bontés; il lui annonce qu'il a des moyens de fuite tout prêts.
L'enveloppe manque; Jekyll prétend l'avoir br?lée par mégarde.
?Encore une question, reprend Utterson: c'est Hyde, n'est-ce pas, qui vous avait dicté ce passage de votre testament au sujet d'une disparition possible??
Le docteur, défaillant, fait un signe affirmatif.
?Je m'en doutais, dit Utterson. Le scélérat avait l'intention de vous assassiner! Vous l'avez échappé belle!
--Oh! j'ai re?u une terrible le?on!? s'écrie Jekyll, ensevelissant sa tête entre ses deux mains. ?Quelle le?on, mon Dieu!?
Et cependant il tente, au moment même, de tromper son ami. En étudiant l'autographe de Hyde, Utterson acquiert la preuve que la prétendue lettre de l'assassin est de la main même de Jekyll, qui a changé l'aspect des caractères en les renversant. Le docteur s'est donc fait faussaire pour sauver un meurtrier!
Cependant le temps s'écoule et l'assassin reste introuvable. On recueille des détails sur le passé de l'homme, sur ses vices, sa cruauté, ses relations ignobles et la haine qu'il a partout inspirée; mais sur sa famille, sur ses origines, rien ne peut être découvert, encore moins sur le lieu où il se cache. Une nouvelle vie semble avoir commencé pour le docteur Jekyll; il ne s'occupe plus que de bonnes oeuvres. Charitable, il l'a toujours été, mais il devient religieux en outre; il fréquente plus assid?ment ses anciens amis, renoue des relations très affectueuses avec le docteur Lanyon, et para?t heureux comme il ne l'était pas depuis longtemps.
Deux mois se passent ainsi; tout à coup, les amis de Jekyll trouvent sa porte fermée. Il garde la chambre, ne re?oit personne. Utterson se décide enfin à faire part de son inquiétude au docteur Lanyon. En entrant chez celui-ci, il est stupéfait
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