la nature par tous ses
pores, liqueur capiteuse qui enivre le poëte et l'égare. Mais le poëte est
fait pour s'égarer, son chemin, à lui, c'est l'absence de chemin. Il coupe
à travers tout, et, s'il ne trouve pas le positif de la science, il trouve le
vrai de la peinture et du sentiment. Tel est un naturaliste de fantaisie,
qu'on doit cependant élever au rang de prêtre de la nature, parce qu'il l'a
comprise, sentie et chantée sous l'aspect qui la fait voir et chérir avec
enthousiasme.
Le savant proprement dit est calme, il le faut ainsi. Aimons et
respectons cette sérénité à laquelle nous devons tant de recherches
précieuses, mais ne nous croyons pas obligés de conclure avec le savant
quand il arrive par l'induction à un système froid. Ce seul adjectif le
condamne. Rien n'est froid, tout est feu dans la production de la vie.
Ceci me rappelle une anecdote. Un élève botaniste de mes amis étudiait
la germandrée et se sentait pris d'amour pour cette plante sans éclat,
mais si délicatement teintée. Au milieu de son enthousiasme, en lisant
la description de la plante dans un traité de botanique, excellent
d'ailleurs, il tombe sur cette désignation de la corolle: _fleur d'un jaune
sale_. Je le vois jeter le livre avec colère en s'écriant:
--C'est vous, malheureux auteur, qui avez les yeux sales!
On pourrait en dire autant aux malveillants qui jugent à leur point de
vue les actions et les intentions des autres; mais aux bons et graves
savants qui voient la nature froide en ses opérations brûlantes on
pourrait peut-être dire:
--C'est vous qui avez l'esprit refroidi par trop de travail.
L'auteur de la Plante, ce spirituel et poétique Grimard, dont je vous
recommandais le livre, lui aussi a pourtant fait acte de soumission
presque complète aux arrêts des savants sur la loi de la vie dans le
végétal. Quand vous le lirez, vous vous insurgerez à cette page, je le
sais; aussi, pour ne pas vous voir abandonner la pensée d'étudier les
fleurs, je veux me hâter de vous dire que, moi aussi, je proteste, non
contre le système généralement adopté en botanique, mais contre la
manière dont on l'expose et les conclusions arbitraires qu'on en tire.
Je tâcherai de résumer le plus simplement possible, au risque de forcer
un peu le raisonnement pour le rendre plus palpable, et pour vous
mettre plus aisément en garde contre ce que présente de spécieux et
même de captieux ce raisonnement.
Il part d'une observation positive, incontestable. La plante tire ses
organes de sa propre substance; qui en doute? De quoi les tirerait-elle?
Est-il besoin d'affirmer que la patte qui repousse à l'écrevisse ou à la
salamandre amputée est patte d'écrevisse pour l'écrevisse, et patte de
salamandre pour la salamandre? Le merveilleux serait que la nature se
trompât et fit des arlequins.
Cependant les savants se sont crus obligés de constater et d'affirmer le
fait, et ils ont donné, très à tort selon moi, le nom de métamorphisme à
l'opération logique et obligatoire qui transforme le pétale en étamine
après avoir transformé la feuille en pétale, comme si une progression de
fonctions dans l'organisme était un changement de substance. Ils
appellent très-sérieusement l'attention de l'observateur sur ce
changement de formes, de couleurs et de fonctions. Fort bien. Le
passage du pétale à l'étamine saute aux yeux dans le nénufar, comme
dans la rose des jardins le passage de l'étamine au pétale. Dans le
nénufar, la nature travaille elle-même à son perfectionnement normal;
dans la rose, elle subit le travail inverse que lui impose la culture pour
arriver à un perfectionnement de convention; mais, de grâce, avec quoi,
dans l'un et l'autre cas, la fleur arriverait-elle à se faire féconde ou
stérile? Et, dans tout être organisé, animal ou plante, de quoi se forment
l'organisation et la désorganisation, sinon de la propre substance,
enrichie ou égarée, de l'individu?
Cette simple observation a fait trop de bruit dans la science et a produit
une doctrine que voici: la plante serait un pauvre être soumis à
d'étranges fatalités; elle ne serait en état de santé normale qu'à l'état
inerte. Reste à savoir quel est le savant qui surprendra ce moment
d'inertie dans la nature organisée! Mais continuons. Du moment que la
plante croît et se développe, elle entre dans une série continue
d'avortements. Le pétiole est un avortement de la tige, la feuille un
avortement du pétiole; ainsi du calice, du périanthe et des organes de la
reproduction. Tous ces avortements sont maladifs, n'en doutons pas, car
la floraison est le dernier, c'est la maladie mortelle. Les feuilles
devenues pétales se décolorent; oui, la science, hélas! parle ainsi. Ces
brillantes livrées de noces, la pourpre de l'adonis, l'azur du myosotis,
décoloration, maladie, signe de mort, agonie, décomposition, heure
suprême, mort.
Tel est l'arrêt
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