déclaraient, sous serment, que depuis dix ans, la casa Morales, n'avait jamais été ouverte. Les herbes poussaient drues et serrées dans le jardin rempli de branches mortes et de plantes parasites. On e?t dit un cimetière dévasté. Seul, un reboso de soie, indice du passage d'une femme, avait été trouvé sur un banc de pierre de la huerta, à un mètre des cadavres du capitaine Thirtle et du major Andrès, frappés tous deux d'un coup de poignard en pleine poitrine.
Ce meurtre avait jeté la consternation dans l'armée américaine. Les alguazils et le corrégidor--chef de la police--de Mexico, mandés auprès des généraux commandants, avaient protesté de leur impuissance à modérer les passions de leurs compatriotes. Nous étions persuadés qu'ils en savaient plus long qu'ils ne voulaient l'avouer. Mais que faire contre des gens qui certainement n'eussent pas dévoilé à leurs vainqueurs les noms de ceux qui servaient si bien leur haine contre les envahisseurs de leur patrie?
Lorsque l'on eut rendu les derniers devoirs à nos infortunés camarades, les ordres de nos généraux furent strictement observés: nous passames trois semaines en corps, ne sortant des casernements qu'en nombre pour visiter la ville, et toujours armés jusques aux dents. Notre vie se tra?nait de l'Hotel Iturbide au café National et vice versa, lorsque nous ne faisions pas quelque excursion hors du centre général, jusques aux barrios (faubourgs) de la ville.
Une après-midi du mois de septembre, nous étions dix officiers étendus dans des fauteuils à bascule à c?té des tables de notre h?tel, devant la fa?ade, abrités par une tendida de toile, buvant à petites gorgées des boissons glacées à la mode du pays et fumant des panatellas exquis, lorsque nos regards furent attirés par une tapada [1], assez pittoresquement costumée, qui passait et repassait devant notre posada et cherchait à attirer notre attention, et particulièrement la mienne.
[Note 1: On appelle ainsi une femme qui se cache le bas du visage avec un fichu de dentelle ou un foulard à la mode turque... et mexicaine.]
A la fin, intrigué par ces évolutions, je me levai et je m'avan?ai vers l'inconnue.
--Que quiere usted? lui dis-je en espagnol.
--Une dame de grande famille, me dit-elle, désire vous entretenir ce soir en particulier, et je suis chargée par elle de vous remettre son adresse.
--Il m'est impossible, répliquai-je, de me trouver à ce rendez-vous. Les ordres du général Scott sont formels.
--Bah! le segnor cabaliero a peur, sans doute?
--Peur! Peur! un Fran?ais ne tremble jamais.
--Sa Seigneurie réfléchira. Ce soir, à neuf heures, à la huerta Moralès. Silence et discrétion!
La huerta Moralès! Mais c'était dans ce jardin même que nos amis avaient été assassinés, il y avait à peine quinze jours!
Je revins sous la tente rendre compte à mes camarades de la conversation échangée avec la tapada, et notre avis unanime fut qu'il fallait prévenir notre général en chef.
Je me rendis au quartier, et je fis part au chef de l'armée américaine de la proposition qui m'avait été faite.
--Eh bien! my bloody Frenchman,--un terme d'amitié du général Scott--avez-vous peur, hein!
--Peur! répondis-je en haussant les épaules, comme je l'avais fait à la tapada.
--Si vous voulez nous rendre un vrai service, vous irez à la casa Moralès. Soyez armé de deux revolvers et ne craignez rien. A peine serez-vous entré dans la huerta que vous serez protégé. Comment? Cela me regarde. Ce soir, nous aurons retrouvé les assassins de Thirtle et d'Andrès! Malheur à eux! je ferai un exemple terrible. Rentrez chez vous pour vous occuper de vos préparatifs. Surtout, pas un mot à vos amis. Vous leur direz que je vous ai défendu de sortir et que vous êtes aux arrêts. Dès que la nuit sera venue, vous revêtirez vos habits civils et vous vous envelopperez dans un manteau, puis vous vous dirigerez vers le rendez-vous donné.
--Il suffit, général; vos ordres seront exécutés de point en point. A la garde de Dieu!
--Et à la mienne!
Je pris congé et j'obéis ponctuellement aux injonctions de ce bon général, que j'aimais comme s'il e?t été mon père.
Pour abréger ce récit, je dirai qu'à neuf heures précises je frappais discrètement à la porte de la huerta Moralès.
Deux secondes après, l'huis s'entr'ouvrait et je me trouvais en présence de la tapada.
--Muy bien, senor, dit-elle. Silence! Suivez-moi!
Je la laissai fermer la porte au verrou, puis elle se dirigea vers une charmille de jasmins et de gardénias en fleurs, dont les émanations embaumaient l'atmosphère.
Sous cette charmille se trouvait assise une senora admirablement belle, qui m'adressa la parole dans un fran?ais plus ou moins compréhensible.
Je lui répondis avec la plus parfaite politesse, et je portai sa main à mes lèvres.
Au même instant, je vis se dresser à quatre mètres devant moi trois leperos armés de coutelas, qui se disposaient à me faire un mauvais parti.
Plus rapide que la pensée, mes mains s'étaient emparées des deux revolvers que je portais dans les
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.