Nouveaux contes extraordinaires | Page 3

Bénédict H. Révoil
ni l'un ni l'autre--la bête ou l'homme--songer à remuer. On e?t dit que nous jouions à la balan?oire, et ce mouvement d'oscillation n'avait rien de très-récréatif. Comme je savais que le regard humain a le plus grand pouvoir sur la bête féroce, mes yeux ne la quittaient point.
J'en étais à me demander comment se terminerait ce dangereux tête-à-tête, lorsque je m'aper?us que nous approchions d'une ?le envahie par l'inondation; et l'on voyait les branches des arbres et les rochers à la surface du Mississipi. Je pris la résolution d'aborder dès que ce serait possible et de laisser la panthère continuer sans moi ce voyage aquatique.
A un moment donné, le tronc d'arbre sur lequel je me cramponnais passa à trois mètres d'une roche plate; et je dégageai ma main et me laissai aller à l'eau. Au même instant, j'entendis un bruit qui ressemblait à une chute. Jetant les yeux du c?té d'où venait ce son, je découvris à une portée de la main la panthère qui s'avan?ait vers l'endroit où je voulais aborder.
Je crus d'abord qu'elle allait m'attaquer et je jurai de me défendre. Il n'en était rien: elle aborda la première, mais je la vis s'accroupir à l'angle de cet ?lot, large à peine d'une dizaine de mètres.
Je me hissai à mon tour sur le rocher et je regardai avec précaution autour de moi.
Fait bizarre à consigner! Nous nous trouvions sur une des ?les du Mississipi, et plusieurs mamelons de ce pic élevé étaient couverts d'animaux de toute sorte qui avaient fui l'envahissement de l'eau en gravissant peu à peu les hauteurs. Quatre daims, un dix-cors et trois biches, un ours noir, un chat sauvage, deux raccoons, un opossum, deux coyottes à poil argenté et une fouine musquée qui empestait le voisinage: telle était la ?société? au milieu de laquelle je me trouvais. Mon étonnement fut extrême en apercevant la réunion inattendue de toutes ces créatures; mais ce qui redoubla ma stupéfaction, ce fut de voir la fa?on dont tout ce ?monde-là? se comportait vis-à-vis les uns des autres. Aucun ne semblait faire attention à ses voisins.
L'aube nous surprit tous dans cette position hétéroclite. Notre arche de Noé ne manifesta pas la moindre velléité de guerre civile, d'hostilités réciproques. Tous étaient matés, comme je l'étais moi-même: nous souffrions de la faim particulièrement, mais nous demeurions immobiles. J'eusse volontiers découpé un steak dans le filet de l'un des cerfs; mais pouvais-je faire une infraction à la paix générale et amener la rupture du statu quo de paix?
La journée se passa dans ces transes morales et physiques, et la nuit vint: nuit terrible, car je souffrais plus qu'on ne peut se l'imaginer des tortures de la faim.
Le lendemain, je m'aper?us que les eaux baissaient et que les gla?ons cessaient d'agrémenter la surface du Mississipi. A l'aide de mon bowie-knife, je coupai un faisceau de cannes que je liai solidement avec des osiers, et quand je fus convaincu que ce radeau improvisé me porterait suffisamment pour pouvoir atteindre, en nageant avec les pieds, la rive la plus prochaine, je me laissai couler à l'eau.
Il était temps. L'espace sur lequel les animaux et moi avions séjourné pendant vingt-quatre heures avait augmenté.
La panthère, le chat sauvage, avaient retrouvé leur instinct et s'étaient rués sur une biche qu'ils dévoraient à belles dents. J'avais quitté fort à propos mon refuge.
La traversée du fleuve fut assez heureuse: j'abordai à cent mètres d'une maison, sur le seuil de laquelle se tenait une bonne vieille femme qui regardait jouer deux enfants confiés à sa garde.
--Jésus! s'écria-t-elle, d'où venez-vous ainsi, étranger?
--De l'eau, comme vous le voyez.
--Seriez-vous le camarade du Canadien que mon fils a sauvé de la mort il y a deux jours?
--Le Canadien est sain et sauf! lui dis-je. Ah! Dieu soit loué! je le croyais noyé.
--Il a failli l'être, mais nous l'avons frictionné à temps et ramené à la vie. En ce moment, il est allé avec mon fils et mes deux neveux à votre recherche, étranger.
La brave femme m'expliqua en détail comment le sauvetage de mon batelier avait été opéré. Pendant ce temps-là, je changeais de vêtements et je dévorais quelque nourriture que m'avait offerte la bonne et hospitalière vieille.
Puis je demandai à dormir et j'allai m'étendre sur un sac rempli de paille, devant le foyer de la cheminée.
Quand je me réveillai, le Canadien et mes h?tes étaient près de moi.
Comme je bénis la Providence qui m'avait tiré d'un aussi grand danger!

Le Garrotte.
(SCèNES DE MOEURS MEXICAINES)
En 1847, à l'époque où les états-Unis déclarèrent la guerre à leurs voisins du Mexique, je fus envoyé, en qualité de reporter, à la suite des armées américaines, pour rendre compte de l'expédition des généraux Taylor et Scott, expédition combinée qui devait prendre l'ennemi des deux c?tés à la fois, pour mieux venir à bout des troupes du président Santa-Anna.
Les chefs de notre
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