Nouveaux contes bleus | Page 4

Edouard Laboulaye
six fois il re?ut la même réponse, et six fois il jeta le cadavre du fils sur le cadavre du père.
Et cependant Briam, l'oeil égaré, la bouche ouverte, sautait après les mouches qui tournaient en l'air.
--Et toi, dr?le, où souffres-tu? lui cria le bourreau.
Pour toute réponse, Briam lui tourna le dos, et, se frappant le derrière avec les deux mains, il chanta:
C'est là que ma mère, un jour de colère, D'un pied courroucé m'a si fort tancé, Que j'en suis tombé la face par terre, Blessé par devant, blessé par derrière, Les reins tout meurtris et le nez cassé!
Le chef des gardes courut après l'insolent; mais ses compagnons l'arrêtèrent.
--Fi! lui dirent-ils, on égorge le louveteau après le loup, mais on ne tue pas un fou; quel mal peut-il faire?
Et Briam se sauva, en chantant et en dansant.
Le soir, le roi eut le plaisir de caresser Bukolla et ne trouva point qu'il l'e?t payée trop cher. Mais, dans la pauvre chaumière, une vieille femme en pleurs demandait justice à Dieu. Le caprice d'un prince lui avait enlevé en une heure son mari et ses six enfants. De tout ce qu'elle avait aimé, de tout ce qui la faisait vivre, il ne lui restait plus qu'un misérable idiot.
II
Bient?t, à vingt lieues à la ronde, on ne parla plus que de Briam et de ses extravagances. Un jour il voulait mettre un clou à la roue du soleil, le lendemain il jetait en l'air son bonnet pour en coiffer la lune.
Le roi, qui avait de l'ambition, voulut avoir un fou à sa cour, pour ressembler de loin aux grands princes du continent. On fit venir Briam, on lui mit un bel habit de toutes couleurs. Une jambe bleue, une jambe rouge, une manche verte, une manche jaune, un plastron orange; c'est dans ce costume de perroquet que Briam fut chargé d'amuser l'ennui des courtisans. Caressé quelquefois et plus souvent battu, le pauvre insensé souffrait tout sans se plaindre. Il passait des heures entières à causer avec les oiseaux ou à suivre l'enterrement d'une fourmi. S'il ouvrait la bouche, c'était pour dire quelque sottise: grand sujet de joie pour ceux qui n'en souffraient pas.
Un jour qu'on allait servir le d?ner, le chef des gardes entra dans la cuisine du chateau. Briam, armé d'un couperet, hachait des fanes de carottes en guise de persil. La vue de ce couteau fit peur au meurtrier; le soup?on lui vint au coeur.
--Briam, dit-il, où est ta mère?
--Ma mère? répondit l'idiot; elle est là qui bout. Et du doigt il indiqua un énorme pot-au-feu, où cuisait, en olla podrida, tout le d?ner royal.
--Sotte bête! dit le chef des gardes en montrant la marmite, ouvre les yeux: qu'est-ce que cela?
--C'est ma mère! c'est celle qui me nourrit! cria Briam. Et, jetant son couperet, il sauta sur le fourneau, prit dans ses bras le pot-au-feu tout noir de fumée, et se sauva dans les bois. On courut après lui; peine perdue. Quand on l'attrapa, tout était brisé, renversé, gaté. Ce soir-là, le roi d?na d'un morceau de pain; sa seule consolation fut de faire fouetter Briam par les marmitons du chateau.
Briam, tout écloppé, rentra dans sa chaumière et conta à sa mère ce qui lui était arrivé.
--Mon fils, mon fils, dit la pauvre femme, ce n'est pas ainsi qu'il fallait parler.
--Que fallait-il dire, ma mère?
--Mon fils, il fallait dire: Voici la marmite que chaque jour emplit la générosité du roi.
--Bien, ma mère, je le dirai demain.
Le lendemain, la cour était réunie. Le roi causait avec son majordome. C'était un beau seigneur, fort expert en bonne chère, gros, gras et rieur. Il avait une grosse tête chauve, un gros cou, un ventre si énorme qu'il ne pouvait croiser les bras, et deux petites jambes qui soutenaient à grand'peine ce vaste édifice.
Tandis que le majordome parlait au roi, Briam lui frappa hardiment sur le ventre:
--Voici, dit-il, la marmite que tous les jours emplit la générosité du roi.
S'il fut battu, il n'est pas besoin de le dire; le roi était furieux, la cour aussi; mais, le soir, dans tout le chateau, on se répétait à l'oreille que les fous, sans le savoir, disent quelquefois de bonnes vérités.
Quand Briam, tout écloppé, rentra dans sa chaumière, il conta à sa mère ce qui lui était arrivé.
--Mon fils, mon fils, dit la pauvre femme, ce n'est pas ainsi qu'il fallait parler.
--Que fallait-il dire, ma mère?
--Mon fils, il fallait dire: Voici le plus aimable et le plus fidèle des courtisans.
--Bien, ma mère, je le dirai demain.
Le lendemain, le roi tenait un grand lever, et, tandis que ministres, officiers, chambellans, beaux messieurs et belles dames se disputaient son sourire, il aga?ait une grosse chienne épagneule qui lui arrachait des mains un gateau.
Briam alla s'asseoir aux pieds du roi, et, prenant par la peau du cou le chien qui hurlait
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 73
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.