la force brutale règne sur la terre, où l'esprit représente le droit et la liberté.
J'ai choisi deux de ces histoires: la première, qui rappelle de loin la folie de Brutus, nous reporte à la vengeance du sang, vengeance qui n'est point particulière aux races germaniques, mais qui, chez elles, a gardé sa forme la plus rude. La légende de Briam, c'est la loi salique en action; il est évident que, pour nos a?eux, au temps de Clovis, le fils le plus vertueux et le guerrier le plus admirable, c'est celui qui, par force ou par ruse, venge son père assassiné. Que Briam ait ou non vécu, il n'importe guère; son histoire est vraie, puisqu'elle répond au sentiment le plus vivace du coeur humain. Le christianisme nous a enseigné le pardon, la sécurité des lois modernes nous a habitués à remettre notre vengeance à l'état; mais l'homme naturel n'a point changé: il semble qu'une corde jusque-là muette vibre dans son coeur quand la magie d'un conte ressuscite ces passions mortes et réveille un temps évanoui.
* * * * *
I
L'HISTOIRE DE BRIAM LE FOU
I
Au bon pays d'Islande, il y avait une fois un roi et une reine qui gouvernaient un peuple fidèle et obéissant. La reine était douce et bonne; on n'en parlait guère! mais le roi était avide et cruel: aussi tous ceux qui en avaient peur célébraient-ils à l'envi ses vertus et sa bonté. Grace à son avarice, le roi avait des chateaux, des fermes, des bestiaux, des meubles, des bijoux, dont il ne savait pas le compte; mais plus il en avait, plus il en voulait avoir. Riche ou pauvre, malheur à qui lui tombait sous la main.
Au bout du parc qui entourait le chateau royal, il y avait une chaumière, où vivait un vieux paysan avec sa vieille femme. Le ciel leur avait donné sept enfants; c'était toute leur richesse. Pour soutenir cette nombreuse famille, les bonnes gens n'avaient qu'une vache, qu'on appelait Bukolla. C'était une bête admirable. Elle était noire et blanche, avec de petites cornes et de grands yeux tristes et doux. La beauté n'était que son moindre mérite; on la trayait trois fois par jour, et elle ne donnait jamais moins de quarante pintes de lait. Elle était si habituée à ses ma?tres, qu'à midi elle revenait d'elle-même au logis, tra?nant ses pis gonflés, et mugissant de loin pour qu'on v?nt à son secours. C'était la joie de la maison.
Un jour que le roi allait en chasse, il traversa le paturage où paissaient les vaches du chateau; le hasard voulut que Bukolla se f?t mêlée au troupeau royal:
--Quel bel animal j'ai là! dit le roi.
--Sire, répondit le patre, cette bête n'est point à vous; c'est Bukolla, la vache du vieux paysan qui vit dans cette masure là-bas.
--Je la veux, répondit le roi.
Tout le long de la chasse le prince ne parla que de Bukolla. Le soir, en rentrant, il appela son chef des gardes, qui était aussi méchant que lui.
--Va trouver ce paysan, lui dit-il, et amène-moi à l'instant même la vache qui me pla?t.
La reine le pria de n'en rien faire:
--Ces pauvres gens, disait-elle, n'ont que cette bête pour tout bien; la leur prendre, c'est les faire mourir de faim.
--Il me la faut, dit le roi; par achat, par échange ou par force, il n'importe. Si dans une heure Bukolla n'est pas dans mes étables, malheur à qui n'aura pas fait son devoir!
Et il fron?a le sourcil de telle sorte, que la reine n'osa plus ouvrir la bouche, et que le chef des gardes partit au plus vite avec une bande d'estafiers.
Le paysan était devant sa porte, occupé à traire sa vache, tandis que tous les enfants se pressaient autour d'elle et la caressaient. Quand il eut re?u le message du prince, le bonhomme secoua la tête et dit qu'il ne céderait Bukolla à aucun prix.--Elle est à moi, ajouta-t-il, c'est mon bien, c'est ma chose, je l'aime mieux que toutes les vaches et que tout l'or du roi.
Prières ni menaces ne le firent changer d'avis.
L'heure avan?ait; le chef des gardes craignait le courroux du ma?tre; il saisit le licou de Bukolla pour l'entra?ner; le paysan se leva pour résister, un coup de hache l'étendit mort par terre. A cette vue, tous les enfants se mirent à sangloter, hormis Briam, l'a?né, qui resta en place, pale et muet.
Le chef des gardes savait qu'en Islande le sang se paye avec le sang, et que t?t ou tard le fils venge le père. Si l'on ne veut pas que l'arbre repousse, il faut arracher du sol jusqu'au dernier rejeton. D'une main furieuse, le brigand saisit un des enfants qui pleuraient:--Où souffres-tu? lui dit-il.--Là, répondit l'enfant en montrant son coeur; aussit?t le scélérat lui enfon?a un poignard dans le sein. Six fois il fit la même question,
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