en faisant une horrible grimace:
--Voici, cria-t-il, le plus aimable et le plus fidèle des courtisans.
Cette folie fit sourire le roi; aussit?t les courtisans rirent à gorge déployée; ce fut à qui montrerait ses dents. Mais, dès que le roi fut sorti, une pluie de coups de pieds et de coups de poings tomba sur le pauvre Briam, qui eut grand'peine à se tirer de l'orage.
Quand il eut raconté à sa mère ce qui lui était arrivé:
--Mon fils, mon fils, dit la pauvre femme, ce n'est pas ainsi qu'il fallait parler.
--Que fallait-il dire, ma mère?
--Mon fils, il fallait dire: Voici celle qui mangerait tout si on la laissait faire.
--Bien, ma mère, je le dirai demain.
Le lendemain était jour de fête, la reine parut au salon dans ses plus beaux atours. Elle était couverte de velours, de dentelles, de bijoux; son collier seul valait l'imp?t de vingt villages. Chacun admirait tant d'éclat.
--Voici, cria Briam, celle qui mangerait tout, si on la laissait faire.
C'en était fait de l'insolent si la reine n'e?t pris sa défense.
--Pauvre fou, lui dit-elle, va-t'en, qu'on ne te fasse pas de mal. Si tu savais combien ces bijoux me pèsent, tu ne me reprocherais pas de les porter.
Quand Briam rentra dans sa chaumière, il conta à sa mère ce qui lui était arrivé.
--Mon fils, mon fils, dit la pauvre femme, ce n'est pas ainsi qu'il fallait parler.
--Que fallait-il dire, ma mère?
--Mon fils, il fallait dire: Voici l'amour et l'orgueil du roi.
--Bien, ma mère, je le dirai demain.
Le lendemain, le roi allait à la chasse. On lui amena sa jument favorite; il était en selle et disait négligemment adieu à la reine, quand Briam se mit à frapper le cheval à l'épaule:
--Voici, cria-t-il, l'amour et l'orgueil du roi.
Le prince regarda Briam de travers; sur quoi le fou se sauva à toutes jambes. Il commen?ait à sentir de loin l'odeur des coups de baton.
En le voyant rentrer tout haletant:
--Mon fils, dit la pauvre mère, ne retourne pas au chateau; ils te tueront.
--Patience, ma mère; on ne sait ni qui meurt ni qui vit.
--Hélas! reprit la mère en pleurant, ton père est heureux d'être mort; il ne voit ni ta honte ni la mienne.
--Patience, ma mère; les jours se suivent et ne se ressemblent pas.
III
Il y avait déjà près de trois mois que le père de Briam reposait dans la tombe, au milieu de ses six enfants, quand le roi donna un grand festin aux principaux officiers de la cour. A sa droite il avait le chef des gardes, à sa gauche était le gros majordome. La table était couverte de fruits, de fleurs et de lumières; on buvait dans des calices d'or les vins les plus exquis. Les têtes s'échauffaient, on parlait haut, et déjà plus d'une querelle avait commencé. Briam, plus fou que jamais, versait le vin à la ronde et ne laissait pas un verre vide. Mais, tandis que d'une main il tenait le flacon doré, de l'autre il clouait deux à deux les habits des convives, si bien que personne ne pouvait se lever sans entra?ner son voisin.
Trois fois il avait recommencé ce manège, quand le roi, animé par la chaleur et le vin, lui cria:
--Fou, monte sur la table, amuse-nous par tes chansons.
Briam sauta lestement au milieu des fruits et des fleurs, puis d'une voix sourde il se mit à chanter:
Tout vient à son tour, Le vent et la pluie, La nuit et le jour, La mort et la vie, Tout vient à son tour.
--Qu'est-ce que ce chant lugubre? dit le roi. Allons, fou, fais-moi rire, ou je te fais pleurer!
Briam regarda le prince avec des yeux farouches, et d'une voix saccadée il reprit:
Tout vient à son tour, Bonne ou male chance, Le destin est sourd, Outrage et vengeance, Tout vient à son tour.
--Dr?le! dit le roi, je crois que tu me menaces. Je vais te chatier comme il faut.
Il se leva, et si brusquement qu'il enleva avec lui le chef des gardes. Surpris, ce dernier, pour se retenir, se pencha en avant et s'accrocha au bras et au cou du roi.
--Misérable! cria le prince, oses-tu porter la main sur ton ma?tre?
Et, saisissant son poignard, le roi allait en frapper l'officier quand celui-ci, tout entier à sa défense, d'une main saisit le bras du roi, et de l'autre lui enfon?a sa dague dans le cou. Le sang jaillit à gros bouillons; le prince tomba, entra?nant dans ses dernières convulsions son meurtrier avec lui.
Au milieu des cris et du tumulte, le chef des gardes se releva promptement, et, tirant son épée:
--Messieurs, dit-il, le tyran est mort. Vive la liberté! Je me fais roi et j'épouse la reine. Si quelqu'un s'y oppose, qu'il parle, je l'attends.
--_Vive le roi!_ crièrent tous les courtisans; il y en eut même quelques-uns qui, profitant de l'occasion, tirèrent une pétition de leur poche. La
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