les arbres dont j'apercevais les hautes branches entre les cheminées, étaient encore trempés de pluie, et ce bout d'horizon riait sous le soleil jaune. Il montait des jardins voisins une bonne odeur de terre mouillée.
--Allons, Ninette, criai-je gaiement, mets ton chapeau, ma fille... Nous partons pour la campagne.
Elle battit des mains. Elle eut terminé sa toilette en dix minutes, ce qui est très-méritoire pour une coquette de vingt ans.
A neuf heures, nous étions dans les bois de Verrières.
II
Quels bois discrets, et que d'amoureux y ont promené leurs amours! Pendant la semaine, les taillis sont déserts, on peut marcher c?te à c?te, les bras à la taille, les lèvres se cherchant, sans autre danger que d'être vus par les fauvettes des buissons. Les allées s'allongent, hautes et larges, à travers les grandes futaies; le sol est couvert d'un tapis d'herbe fine, sur lequel le soleil, trouant les feuillages, jette des palets d'or. Et il y a des chemins creux, des sentiers étroits, très-sombres, où l'on est obligé de se serrer l'un contre l'autre. Et il y a encore des fourrés impénétrables, où l'on peut se perdre, si les baisers chantent trop haut.
Ninon quittait mon bras, courait comme un jeune chien, heureuse de sentir les herbes fr?ler ses chevilles. Puis elle revenait et se pendait à mon épaule, lasse, caressante. Toujours le bois s'étendait, mer sans fin aux vagues de verdure. Le silence frissonnant, l'ombre vivante qui tombait des grands arbres nous montaient à la tête, nous grisaient de toute la sève ardente du printemps. On redevient enfant, dans le mystère des taillis.
--Oh! des fraises, des fraises! cria Ninon en sautant un fossé comme une chèvre échappée, et en fouillant les broussailles.
III
Des fraises, hélas! non, mais des fraisiers, toute une nappe de fraisiers qui s'étalait sous les ronces.
Ninon ne songeait plus aux bêtes dont elle avait une peur horrible. Elle promenait gaillardement les mains au milieu des herbes, soulevant chaque feuille, désespérée de ne pas rencontrer le moindre fruit.
--On nous a devancés, dit-elle avec une moue de dépit... Oh! dis, cherchons bien, il y en a sans doute encore.
Et nous nous m?mes à chercher avec une conscience exemplaire. Le corps plié, le cou tendu, les yeux fixés à terre, nous avancions à petits pas prudents, sans risquer une parole, de peur de faire envoler les fraises. Nous avions oublié la forêt, le silence et l'ombre, les larges allées et les sentiers étroits. Les fraises, rien que les fraises. A chaque touffe que nous rencontrions, nous nous baissions, et nos mains frémissantes se touchaient sous les herbes.
Nous f?mes ainsi plus d'une lieue, courbés, errant à droite, à gauche. Pas la plus petite fraise. Des fraisiers superbes, avec de belles feuilles d'un vert sombre. Je voyais les lèvres de Ninon se pincer et ses yeux devenir humides.
IV
Nous étions arrivés en face d'un large talus, sur lequel le soleil tombait droit, avec des chaleurs lourdes. Ninon s'approcha de ce talus, décidée à ne plus chercher ensuite. Brusquement, elle poussa un cri aigu. J'accourus, effrayé, croyant qu'elle s'était blessée. Je la trouvai accroupie; l'émotion l'avait assise par terre, et elle me montrait du doigt une petite fraise, à peine grosse comme un pois, m?re d'un c?té seulement.
--Cueille-la, toi, me dit-elle d'une voix basse et caressante.
Je m'étais assis près d'elle, au bas du talus.
--Non, répondis-je, c'est toi qui l'as trouvée, c'est toi qui dois la cueillir.
--Non, fais-moi ce plaisir, cueille-la.
Je me défendis tant et si bien que Ninon se décida enfin à couper la tige de son ongle. Mais ce fut une bien autre histoire, quand il fallut savoir lequel de nous deux mangerait cette pauvre petite fraise qui nous co?tait une bonne heure de recherches. A toute force, Ninon voulait me la mettre dans la bouche. Je résistai fermement; puis, je finis par faire des concessions, et il fut arrêté que la fraise serait partagée en deux.
Elle la mit entre ses lèvres, en me disant avec un sourire:
--Allons, prends ta part.
Je pris ma part. Je ne sais si la fraise fut partagée fraternellement. Je ne sais même si je go?tai à la fraise, tant le miel du baiser de Ninon me parut bon.
V
Le talus était couvert de fraisiers, et ces fraisiers-là étaient des fraisiers sérieux. La récolte fut ample et joyeuse. Nous avions étalé à terre un mouchoir blanc, en nous jurant solennellement d'y déposer notre butin, sans rien en détourner. A plusieurs reprises pourtant, il me sembla voir Ninon porter la main à sa bouche.
Quand la récolte fut faite, nous décidames qu'il était temps de chercher un coin d'ombre pour déjeuner à l'aise. Je trouvai, à quelques pas, un trou charmant, un nid de feuilles. Le mouchoir fut religieusement placé à c?té de nous.
Grands dieux! qu'il faisait bon là, sur la mousse, dans la volupté de cette fra?cheur verte! Ninon me regardait avec des yeux
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.