humides. Le soleil avait mis des rougeurs tendres sur son cou. Comme elle vit toute ma tendresse dans mon regard, elle se pencha vers moi, en me tendant les deux mains, avec un geste d'adorable abandon.
Le soleil, flambant sur les hauts feuillages, jetait des palets d'or, à nos pieds, dans l'herbe fine. Les fauvettes elles-mêmes se taisaient et ne regardaient pas. Quand nous cherchames les fraises pour les manger, nous nous aper??mes avec stupeur que nous étions couchés en plein sur le mouchoir.
LE GRAND MICHU
I
Une après-midi, à la récréation de quatre heures, le grand Michu me prit à part, dans un coin de la cour. Il avait un air grave qui me frappa d'une certaine crainte; car le grand Michu était un gaillard, aux poings énormes, que, pour rien au monde, je n'aurais voulu avoir pour ennemi.
--écoute, me dit-il de sa voix grasse de paysan à peine dégrossi, écoute, veux-tu en être?
Je répondis carrément: ?Oui!? flatté d'être de quelque chose avec le grand Michu. Alors, il m'expliqua qu'il s'agissait d'un complot. Les confidences qu'il me fit, me causèrent une sensation délicieuse, que je n'ai jamais peut-être éprouvée depuis. Enfin, j'entrais dans les folles aventures de la vie, j'allais avoir un secret à garder, une bataille à livrer. Et, certes, l'effroi inavoué que je ressentais à l'idée de me compromettre de la sorte, comptait pour une bonne moitié dans les joies cuisantes de mon nouveau r?le de complice.
Aussi, pendant que le grand Michu parlait, étais-je en admiration devant lui. Il m'initia d'un ton un peu rude, comme un conscrit dans l'énergie duquel on a une médiocre confiance. Cependant, le frémissement d'aise, l'air d'extase enthousiaste que je devais avoir en l'écoutant, finirent par lui donner une meilleure opinion de moi.
Comme la cloche sonnait le second coup, en allant tous deux prendre nos rangs pour rentrer à l'étude:
--C'est entendu, n'est-ce pas? me dit-il à voix basse. Tu es des n?tres... Tu n'auras pas peur, au moins; tu ne trahiras pas?
--Oh! non, tu verras... C'est juré.
Il me regarda de ses yeux gris, bien en face, avec une vraie dignité d'homme m?r, et me dit encore:
--Autrement, tu sais, je ne te battrai pas, mais je dirai partout que tu es un tra?tre, et personne ne te parlera plus.
Je me souviens encore du singulier effet que me produisit cette menace. Elle me donna un courage énorme. ?Bast! me disais-je, ils peuvent bien me donner deux mille vers; du diable si je trahis Michu!? J'attendis avec une impatience fébrile l'heure du d?ner. La révolte devait éclater au réfectoire.
II
Le grand Michu était du Var. Son père, un paysan qui possédait quelques bouts de terre, avait fait le coup de feu en 51, lors de l'insurrection provoquée par le coup d'état. Laissé pour mort dans la plaine d'Uchane, il avait réussi à se cacher. Quand il reparut, on ne l'inquiéta pas. Seulement, les autorités du pays, les notables, les gros et les petits rentiers ne l'appelèrent plus que ce brigand de Michu.
Ce brigand, cet honnête homme illettré, envoya son fils au collège d'A... Sans doute il le voulait savant pour le triomphe de la cause qu'il n'avait pu défendre, lui, que les armes à la main. Nous savions vaguement cette histoire, au collège, ce qui nous faisait regarder notre camarade comme un personnage très-redoutable.
Le grand Michu était, d'ailleurs, beaucoup plus agé que nous. Il avait près de dix-huit ans, bien qu'il ne se trouvat encore qu'en quatrième. Mais on n'osait le plaisanter. C'était un de ces esprits droits, qui apprennent difficilement, qui ne devinent rien; seulement, quand il savait une chose, il la savait à fond et pour toujours. Fort, comme taillé à coups de hache, il régnait en ma?tre pendant les récréations. Avec cela, d'une douceur extrême. Je ne l'ai jamais vu qu'une fois en colère; il voulait étrangler un pion qui nous enseignait que tous les républicains étaient des voleurs et des assassins. On faillit mettre le grand Michu à la porte.
Ce n'est que plus tard, lorsque j'ai revu mon ancien camarade dans mes souvenirs, que j'ai pu comprendre son attitude douce et forte. De bonne heure, son père avait d? en faire un homme.
III
Le grand Michu se plaisait au collège, ce qui n'était pas le moindre de nos étonnements. Il n'y éprouvait qu'un supplice dont il n'osait parler: la faim. Le grand Michu avait toujours faim.
Je ne me souviens pas d'avoir vu un pareil appétit. Lui qui était très-fier, il allait parfois jusqu'à jouer des comédies humiliantes pour nous escroquer un morceau de pain, un déjeuner ou un go?ter. élevé en plein air, au pied de la cha?ne des Maures, il souffrait encore plus cruellement que nous de la maigre cuisine du collège.
C'était là un de nos grands sujets de conversation, dans la cour, le long du mur qui nous abritait de son filet d'ombre. Nous
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