Nouveaux Contes à Ninon | Page 7

Emile Zola
tête fine du comte, aux moustaches un peu ironiques, demeurèrent bien sagement immobiles, sur l'eau dormante, à une toise au plus l'une de l'autre. L'Amour de platre, sous la draperie de lierre, riait plus fort.

V.
Adeline s'était jetée en plein dans les nénufars. Quand la fra?cheur de l'eau l'eut remise, et qu'elle eut pris ses dispositions pour passer là une heure, elle vit que l'eau était d'une limpidité vraiment choquante. Au fond, sur le sable, elle apercevait ses pieds nus. Il faut dire que cette diablesse de lune se baignait, elle aussi, se roulait dans l'eau, l'emplissait des frétillements d'anguilles de ses rayons. C'était un bain d'or liquide et transparent. Peut-être le comte voyait-il les pieds nus sur le sable, et s'il voyait les pieds et la tête.... Adeline se couvrit, sous l'eau, d'une ceinture de nénufars. Doucement, elle attira de larges feuilles rondes qui nageaient, et s'en fit une grande collerette. Ainsi habillée, elle se sentit plus tranquille.
Cependant, le comte avait fini par prendre la chose sto?quement. N'ayant pas trouvé une racine pour s'asseoir, il s'était résigné à se tenir à genoux. Et pour ne pas avoir l'air tout à fait ridicule, avec de l'eau au menton, comme un homme perdu dans un plat à barbe colossal, il avait lié conversation avec la comtesse, évitant tout ce qui pouvait rappeler le désagrément de leur position respective.
--Il a fait bien chaud aujourd'hui, madame.
--Oui, monsieur, une chaleur accablante. Heureusement que ces ombrages donnent quelque fra?cheur.
--Oh! certainement.... Cette brave tante est une digne personne, n'est-ce pas?
--Une digne personne, en effet.
Puis, ils parlèrent des dernières courses et des bals qu'on annonce déjà pour l'hiver prochain. Adeline, qui commen?ait à avoir froid, réfléchissait que le comte devait l'avoir vue pendant qu'elle s'attardait sur la rive. Cela était tout simplement horrible. Seulement, elle avait des doutes sur la gravité de l'accident. Il faisait noir sous les arbres, la lune n'était pas encore là; puis, elle se rappelait, maintenant, qu'elle se tenait derrière le tronc d'un gros chêne. Ce tronc avait d? la protéger. Mois, en vérité, ce comte était un homme abominable. Elle le ha?ssait, elle aurait voulu que le pied lui glissat, qu'il se noyat. Certes, ce n'est pas elle qui lui aurait tendu la main. Pourquoi, quand il l'avait vue venir, ne lui avait-il pas crié qu'il était là, qu'il prenait un bain? La question se formula si nettement en elle, qu'elle ne put la retenir sur ses lèvres. Elle interrompit le comte, qui parlait de la nouvelle forme des chapeaux.
--Mais je ne savais pas, répondit-il; je vous assure que j'ai eu très-peur. Vous étiez toute blanche, j'ai cru que c'était la Belle-au-Bois-dormant qui revenait, vous savez, cette fille qui a été enfermée ici.... J'avais si peur, que je n'ai pas pu crier.
Au bout d'une demi-heure, ils étaient bons amis, Adeline s'était dit qu'elle se décolletait bien dans les bals, et qu'en somme elle pouvait montrer ses épaules. Elle était sortie un peu de l'eau, elle avait échancré la robe montante qui la serrait au cou. Puis, elle avait risqué les bras. Elle ressemblait à une fille des sources, la gorge nue, les bras libres, vêtue de toute cette nappe verte qui s'étalait et s'en allait derrière elle comme une large tra?ne de satin.
Le comte s'attendrissait. Il avait obtenu de faire quelques pas pour se rapprocher d'une racine. Ses dents claquaient un peu. Il regardait la lune avec un intérêt très-vif.
--Hein! elle marche lentement? demanda Adeline.
--Eh! non, elle a des ailes, répondit-il avec un soupir.
Elle se mit à rire, en ajoutant:
--Nous en avons encore pour un gros quart d'heure.
Alors, il profita lachement de la situation: il lui fit une déclaration. Il lui expliqua qu'il l'aimait depuis deux ans, et que s'il la taquinait, c'était qu'il avait trouvé cela plus dr?le que de lui dire des fadeurs. Adeline, prise d'inquiétude, remonta sa robe verte jusqu'au cou, fourra les bras dans les manches. Elle ne passait plus que le bout de son nez rose sous les nénufars; et, comme elle recevait en plein la lune dans les yeux, elle était tout étourdie, tout éblouie. Elle ne voyait plus le comte, quand elle entendit un grand barbottement et qu'elle sentit l'eau s'agiter et lui monter aux lèvres.
--Voulez-vous bien ne pas remuer! cria-t-elle; voulez-vous bien ne pas marcher comme cela dans l'eau!
--Mais je n'ai pas marché, dit le comte, j'ai glissé... Je vous aime!
--Taisez-vous, ne remuez plus, nous parlerons de tout cela, quand il fera noir... Attendons que la lune soit derrière l'arbre...

VII
La lune se cacha derrière l'arbre. L'Amour de platre éclata de rire.

LES FRAISES

I
Un matin de juin, en ouvrant la fenêtre, je re?us au visage un souffle d'air frais. Il avait fait pendant la nuit un violent orage. Le ciel paraissait comme neuf, d'un bleu tendre, lavé par l'averse jusque dans ses plus petits coins. Les toits,
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