haie d'aubépines, ma chère ame, que je te donne rendez-vous, à des années, un jour de soleil pale, lorsque ton coeur me saura dans les environs.
éMILE ZOLA.
Paris, 1er octobre 1874.
CONTES
UN BAIN
Je te le donne en mille, Ninon. Cherche, invente, imagine: un vrai conte bleu, quelque chose de terrifiant et d'invraisemblable... Tu sais, la petite baronne, cette excellente Adeline de C***, qui avait juré... Non, tu ne devinerais pas, j'aime mieux te tout dire.
Eh bien! Adeline se remarie, positivement. Tu doutes, n'est-ce pas? Il faut que je sois au Mesnil-Rouge, à soixante-sept lieues de Paris, pour croire à une pareille histoire. Ris, le mariage ne s'en fera pas moins. Cette pauvre Adeline, qui était veuve à vingt-deux ans, et que la haine et le mépris des hommes rendaient si jolie! En deux mois de vie commune, le défunt, un digne homme, certes, pas trop mal conservé, qui e?t été parfait sans les infirmités dont il est mort, lui avait enseigné toute l'école du mariage. Elle avait juré que l'expérience suffisait. Et elle se remarie! Ce que c'est que de nous, pourtant!
Il est vrai qu'Adeline a eu de la malechance. On ne prévoit pas une aventure pareille. Et si je te disais qui elle épouse! Tu connais le comte Octave de R***, ce grand jeune homme qu'elle détestait si parfaitement. Ils ne pouvaient se rencontrer sans échanger des sourires pointus, sans s'égorger doucement avec des phrases aimables. Ah! les malheureux! si tu savais où ils se sont rencontrés une dernière fois... Je vois bien qu'il faut que je te conte ?a. C'est tout un roman. Il pleut ce matin. Je vais mettre la chose en chapitres.
I
Le Chateau est à six lieues de Tours. Du Mesnil-Rouge, j'en vois les toits d'ardoise, noyés dans les verdures du parc. On le nomme le Chateau de la Belle-au-Bois-dormant, parce qu'il fut jadis habité par un seigneur qui faillit y épouser une de ses fermières. La chère enfant y vécut clo?trée, et je crois que son ombre y revient. Jamais pierres n'ont eu une telle senteur d'amour.
La Belle qui y dort aujourd'hui est la vieille comtesse de M***, une tante d'Adeline. Il y a trente ans qu'elle doit venir passer un hiver à Paris. Ses nièces et ses neveux lui donnent chacun une quinzaine, à la belle saison. Adeline est très-ponctuelle. D'ailleurs, elle aime le Chateau, une ruine légendaire que les pluies et les vents émiettent, au milieu d'une forêt vierge.
La vieille comtesse a formellement recommandé de ne toucher ni aux plafonds qui se lézardent, ni aux branches folles qui barrent les allées. Elle est heureuse de ce mur de feuilles qui s'épaissit là, chaque printemps, et elle dit, d'ordinaire, que la maison est encore plus solide qu'elle. La vérité est que toute une aile est par terre. Ces aimables retraites, baties sous Louis XV, étaient, comme les amours du temps, un déjeuner de soleil. Les platres se sont fendus, les planchers ont cédé, la mousse a verdi jusqu'aux alc?ves. Toute l'humidité du parc a mis là une fra?cheur où passe encore l'odeur musquée des tendresses d'autrefois.
Le parc menace d'entrer dans la maison. Des arbres ont poussé au pied des perrons, dans les fentes des marches. Il n'y a plus que la grande allée qui soit carrossable; encore faut-il que le cocher conduise ses bêtes à la main. A droite, à gauche, les taillis restent vierges, creusés de rares sentiers, noirs d'ombre, où l'on avance, les mains tendues, écartant les herbes. Et les troncs abattus font des impasses de ces bouts de chemins, tandis que les clairières rétrécies ressemblent à des puits ouverts sur le bleu du ciel. La mousse pend des branches, les douces-amères tendent des rideaux sous les futaies; des pullulements d'insectes, des bourdonnements d'oiseaux qu'on ne voit pas, donnent une étrange vie à cette énormité de feuillages. J'ai eu souvent de petits frissons de peur, en allant rendre visite à la comtesse; les taillis me soufflaient sur la nuque des haleines inquiétantes.
Mais il y a surtout un coin délicieux et troublant, dans le parc: c'est à gauche du Chateau, au bout d'un parterre, où il ne pousse plus que des coquelicots aussi grands que moi. Sous un bouquet d'arbres, une grotte se creuse, s'enfon?ant au milieu d'une draperie de lierre, dont les bouts tra?nent jusque dans l'herbe. La grotte, envahie, obstruée, n'est plus qu'un trou noir, au fond duquel on aper?oit la blancheur d'un Amour de platre, souriant, un doigt sur la bouche. Le pauvre Amour est manchot, et il a, sur l'oeil droit, une tache de mousse qui le rend borgne. Il semble garder, avec son sourire pale d'infirme, quelque amoureuse dame morte depuis un siècle.
Une eau vive, qui sort de la grotte, s'étale en large nappe au milieu de la clairière; puis, elle s'échappe par un ruisseau perdu sous les feuilles. C'est
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