Nouveaux Contes à Ninon | Page 8

Emile Zola
voulez-vous bien ne pas
marcher comme cela dans l'eau!
--Mais je n'ai pas marché, dit le comte, j'ai glissé... Je vous aime!
--Taisez-vous, ne remuez plus, nous parlerons de tout cela, quand il
fera noir... Attendons que la lune soit derrière l'arbre...

VII
La lune se cacha derrière l'arbre. L'Amour de plâtre éclata de rire.

LES FRAISES

I
Un matin de juin, en ouvrant la fenêtre, je reçus au visage un souffle
d'air frais. Il avait fait pendant la nuit un violent orage. Le ciel
paraissait comme neuf, d'un bleu tendre, lavé par l'averse jusque dans

ses plus petits coins. Les toits, les arbres dont j'apercevais les hautes
branches entre les cheminées, étaient encore trempés de pluie, et ce
bout d'horizon riait sous le soleil jaune. Il montait des jardins voisins
une bonne odeur de terre mouillée.
--Allons, Ninette, criai-je gaiement, mets ton chapeau, ma fille... Nous
partons pour la campagne.
Elle battit des mains. Elle eut terminé sa toilette en dix minutes, ce qui
est très-méritoire pour une coquette de vingt ans.
A neuf heures, nous étions dans les bois de Verrières.

II
Quels bois discrets, et que d'amoureux y ont promené leurs amours!
Pendant la semaine, les taillis sont déserts, on peut marcher côte à côte,
les bras à la taille, les lèvres se cherchant, sans autre danger que d'être
vus par les fauvettes des buissons. Les allées s'allongent, hautes et
larges, à travers les grandes futaies; le sol est couvert d'un tapis d'herbe
fine, sur lequel le soleil, trouant les feuillages, jette des palets d'or. Et il
y a des chemins creux, des sentiers étroits, très-sombres, où l'on est
obligé de se serrer l'un contre l'autre. Et il y a encore des fourrés
impénétrables, où l'on peut se perdre, si les baisers chantent trop haut.
Ninon quittait mon bras, courait comme un jeune chien, heureuse de
sentir les herbes frôler ses chevilles. Puis elle revenait et se pendait à
mon épaule, lasse, caressante. Toujours le bois s'étendait, mer sans fin
aux vagues de verdure. Le silence frissonnant, l'ombre vivante qui
tombait des grands arbres nous montaient à la tête, nous grisaient de
toute la sève ardente du printemps. On redevient enfant, dans le
mystère des taillis.
--Oh! des fraises, des fraises! cria Ninon en sautant un fossé comme
une chèvre échappée, et en fouillant les broussailles.

III
Des fraises, hélas! non, mais des fraisiers, toute une nappe de fraisiers
qui s'étalait sous les ronces.
Ninon ne songeait plus aux bêtes dont elle avait une peur horrible. Elle
promenait gaillardement les mains au milieu des herbes, soulevant
chaque feuille, désespérée de ne pas rencontrer le moindre fruit.

--On nous a devancés, dit-elle avec une moue de dépit... Oh! dis,
cherchons bien, il y en a sans doute encore.
Et nous nous mîmes à chercher avec une conscience exemplaire. Le
corps plié, le cou tendu, les yeux fixés à terre, nous avancions à petits
pas prudents, sans risquer une parole, de peur de faire envoler les
fraises. Nous avions oublié la forêt, le silence et l'ombre, les larges
allées et les sentiers étroits. Les fraises, rien que les fraises. A chaque
touffe que nous rencontrions, nous nous baissions, et nos mains
frémissantes se touchaient sous les herbes.
Nous fîmes ainsi plus d'une lieue, courbés, errant à droite, à gauche.
Pas la plus petite fraise. Des fraisiers superbes, avec de belles feuilles
d'un vert sombre. Je voyais les lèvres de Ninon se pincer et ses yeux
devenir humides.

IV
Nous étions arrivés en face d'un large talus, sur lequel le soleil tombait
droit, avec des chaleurs lourdes. Ninon s'approcha de ce talus, décidée à
ne plus chercher ensuite. Brusquement, elle poussa un cri aigu.
J'accourus, effrayé, croyant qu'elle s'était blessée. Je la trouvai
accroupie; l'émotion l'avait assise par terre, et elle me montrait du doigt
une petite fraise, à peine grosse comme un pois, mûre d'un côté
seulement.
--Cueille-la, toi, me dit-elle d'une voix basse et caressante.
Je m'étais assis près d'elle, au bas du talus.
--Non, répondis-je, c'est toi qui l'as trouvée, c'est toi qui dois la cueillir.
--Non, fais-moi ce plaisir, cueille-la.
Je me défendis tant et si bien que Ninon se décida enfin à couper la tige
de son ongle. Mais ce fut une bien autre histoire, quand il fallut savoir
lequel de nous deux mangerait cette pauvre petite fraise qui nous
coûtait une bonne heure de recherches. A toute force, Ninon voulait me
la mettre dans la bouche. Je résistai fermement; puis, je finis par faire
des concessions, et il fut arrêté que la fraise serait partagée en deux.
Elle la mit entre ses lèvres, en me disant avec un sourire:
--Allons, prends ta part.
Je pris ma part. Je ne sais si la fraise fut partagée fraternellement. Je ne
sais même
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