aller.
Le comte voulut protester; mais, comme il faisait des gestes en parlant,
et qu'il se découvrait jusqu'à la ceinture, elle poussa de petits cris de
détresse si aigus, qu'il dut, par politesse, rentrer dans le bassin jusqu'au
menton. Il eut la délicatesse de ne plus remuer. Alors, ils restèrent tous
les deux là, en tête-à-tête, on peut le dire. Les deux têtes, cette adorable
tête blonde de la baronne, avec les grands yeux que tu sais, et cette tête
fine du comte, aux moustaches un peu ironiques, demeurèrent bien
sagement immobiles, sur l'eau dormante, à une toise au plus l'une de
l'autre. L'Amour de plâtre, sous la draperie de lierre, riait plus fort.
V.
Adeline s'était jetée en plein dans les nénufars. Quand la fraîcheur de
l'eau l'eut remise, et qu'elle eut pris ses dispositions pour passer là une
heure, elle vit que l'eau était d'une limpidité vraiment choquante. Au
fond, sur le sable, elle apercevait ses pieds nus. Il faut dire que cette
diablesse de lune se baignait, elle aussi, se roulait dans l'eau,
l'emplissait des frétillements d'anguilles de ses rayons. C'était un bain
d'or liquide et transparent. Peut-être le comte voyait-il les pieds nus sur
le sable, et s'il voyait les pieds et la tête.... Adeline se couvrit, sous l'eau,
d'une ceinture de nénufars. Doucement, elle attira de larges feuilles
rondes qui nageaient, et s'en fit une grande collerette. Ainsi habillée,
elle se sentit plus tranquille.
Cependant, le comte avait fini par prendre la chose stoïquement.
N'ayant pas trouvé une racine pour s'asseoir, il s'était résigné à se tenir
à genoux. Et pour ne pas avoir l'air tout à fait ridicule, avec de l'eau au
menton, comme un homme perdu dans un plat à barbe colossal, il avait
lié conversation avec la comtesse, évitant tout ce qui pouvait rappeler le
désagrément de leur position respective.
--Il a fait bien chaud aujourd'hui, madame.
--Oui, monsieur, une chaleur accablante. Heureusement que ces
ombrages donnent quelque fraîcheur.
--Oh! certainement.... Cette brave tante est une digne personne, n'est-ce
pas?
--Une digne personne, en effet.
Puis, ils parlèrent des dernières courses et des bals qu'on annonce déjà
pour l'hiver prochain. Adeline, qui commençait à avoir froid,
réfléchissait que le comte devait l'avoir vue pendant qu'elle s'attardait
sur la rive. Cela était tout simplement horrible. Seulement, elle avait
des doutes sur la gravité de l'accident. Il faisait noir sous les arbres, la
lune n'était pas encore là; puis, elle se rappelait, maintenant, qu'elle se
tenait derrière le tronc d'un gros chêne. Ce tronc avait dû la protéger.
Mois, en vérité, ce comte était un homme abominable. Elle le haïssait,
elle aurait voulu que le pied lui glissât, qu'il se noyât. Certes, ce n'est
pas elle qui lui aurait tendu la main. Pourquoi, quand il l'avait vue venir,
ne lui avait-il pas crié qu'il était là, qu'il prenait un bain? La question se
formula si nettement en elle, qu'elle ne put la retenir sur ses lèvres. Elle
interrompit le comte, qui parlait de la nouvelle forme des chapeaux.
--Mais je ne savais pas, répondit-il; je vous assure que j'ai eu très-peur.
Vous étiez toute blanche, j'ai cru que c'était la Belle-au-Bois-dormant
qui revenait, vous savez, cette fille qui a été enfermée ici.... J'avais si
peur, que je n'ai pas pu crier.
Au bout d'une demi-heure, ils étaient bons amis, Adeline s'était dit
qu'elle se décolletait bien dans les bals, et qu'en somme elle pouvait
montrer ses épaules. Elle était sortie un peu de l'eau, elle avait échancré
la robe montante qui la serrait au cou. Puis, elle avait risqué les bras.
Elle ressemblait à une fille des sources, la gorge nue, les bras libres,
vêtue de toute cette nappe verte qui s'étalait et s'en allait derrière elle
comme une large traîne de satin.
Le comte s'attendrissait. Il avait obtenu de faire quelques pas pour se
rapprocher d'une racine. Ses dents claquaient un peu. Il regardait la
lune avec un intérêt très-vif.
--Hein! elle marche lentement? demanda Adeline.
--Eh! non, elle a des ailes, répondit-il avec un soupir.
Elle se mit à rire, en ajoutant:
--Nous en avons encore pour un gros quart d'heure.
Alors, il profita lâchement de la situation: il lui fit une déclaration. Il lui
expliqua qu'il l'aimait depuis deux ans, et que s'il la taquinait, c'était
qu'il avait trouvé cela plus drôle que de lui dire des fadeurs. Adeline,
prise d'inquiétude, remonta sa robe verte jusqu'au cou, fourra les bras
dans les manches. Elle ne passait plus que le bout de son nez rose sous
les nénufars; et, comme elle recevait en plein la lune dans les yeux, elle
était tout étourdie, tout éblouie. Elle ne voyait plus le comte, quand elle
entendit un grand barbottement et qu'elle sentit l'eau s'agiter et lui
monter aux lèvres.
--Voulez-vous bien ne pas remuer! cria-t-elle;
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