aux lèvres de l'Amour, pour savoir s'il ne lui dirait rien.
III
Ce qu'il y a d'affreux, cette saison, c'est que la pauvre Adeline, en
arrivant au Château, a trouvé, installé dans la plus belle chambre, le
comte Octave de R..., ce grand jeune homme, son ennemi mortel. Il
paraît qu'il est quelque peu le petit cousin de la vieille madame de M...
Adeline a juré qu'elle le délogerait. Elle a bravement défait ses malles,
et elle a repris ses courses, ses fouilles éternelles. Octave, pendant huit
jours, l'a tranquillement regardée de sa fenêtre, en fumant des cigares.
Le soir, plus de paroles aiguës, plus de guerre sourde. Il était d'une telle
politesse, qu'elle a fini par le trouver assommant, et qu'elle ne s'est plus
occupée de lui. Lui, fumait toujours; elle, battait le parc et prenait ses
bains.
C'était vers minuit qu'elle descendait à la nappe d'eau, quand tout le
monde dormait. Elle s'assurait surtout si le comte Octave avait bien
soufflé sa bougie. Alors, à petits pas, elle s'en allait, comme à un
rendez-vous d'amour, avec des désirs tout sensuels pour l'eau froide.
Elle avait un petit frisson de peur exquis, depuis qu'elle savait un
homme au Château. S'il ouvrait une fenêtre, s'il apercevait un coin de
son épaule à travers les feuilles! Rien que cette pensée la faisait
grelotter, quand elle sortait ruisselante de la nappe, et qu'un rayon de
lune blanchissait sa nudité de statue.
Une nuit, elle descendit vers onze heures. Le Château dormait depuis
deux grandes heures. Cette nuit-là, elle se sentait des hardiesses
particulières. Elle avait écouté à la porte du comte, et elle croyait l'avoir
entendu ronfler. Fi! un homme qui ronfle! Cela lui avait donné un
grand mépris pour les hommes, un grand désir des caresses fraîches de
l'eau, dont le sommeil est si doux. Elle s'attarda sous les arbres, prenant
plaisir à détacher ses vêtements un à un. Il faisait très-sombre, la lune
se levait à peine; et le corps blanc de la chère enfant ne mettait sur la
rive qu'une blancheur vague de jeune bouleau. Des souffles chauds
venaient du ciel, qui passaient sur ses épaules avec des baisers tièdes.
Elle était très à l'aise, un peu languissante, un peu étouffée par la
chaleur, mais pleine d'une nonchalance heureuse qui lui faisait, sur le
bord, tâter la source du pied.
Cependant, la lune tournait, éclairait déjà un coin de la nappe. Alors,
Adeline, épouvantée, aperçut sur cette nappe une tête qui la regardait,
dans ce coin éclairé. Elle se laissa glisser, se mit de l'eau jusqu'au
menton, croisa les bras comme pour ramener sur sa poitrine tous les
voiles tremblants du bassin, et demanda d'une voix frémissante:
--Qui est là?... Que faites-vous là?
--C'est moi, madame, répondit tranquillement le comte Octave....
N'ayez pas peur, je prends un bain.
IV
Il se fit un silence formidable. Il n'y avait plus, sur la nappe d'eau, que
les ondulations qui s'élargissaient lentement autour des épaules
d'Adeline et qui allaient mourir sur la poitrine du comte, avec un
clapotement léger. Celui-ci, tranquillement, leva les bras, fit le geste de
prendre une branche de saule pour sortir de l'eau.
--Restez, je vous l'ordonne, cria Adeline d'une voix terrifiée.... Rentrez
dans l'eau, rentrez dans l'eau bien vite!
--Mais, madame, répondit-il en rentrant dans l'eau jusqu'au cou, c'est
qu'il y a plus d'une heure que je suis là.
--Ça ne fait rien, monsieur, je ne veux pas que vous sortiez, vous
comprenez.... Nous attendrons.
Elle perdait la tête, la pauvre baronne. Elle parlait d'attendre, sans trop
savoir, l'imagination détraquée par les éventualités terribles qui la
menaçaient. Octave eut un sourire.
--Mais, hasarda-t-il, il me semble qu'en tournant le dos....
--Non, non, monsieur! Vous ne voyez donc pas la lune!
Il était de fait que la lune avait marché et qu'elle éclairait en plein le
bassin. C'était une lune superbe. Le bassin luisait, pareil à un miroir
d'argent, au milieu du noir des feuilles; les joncs, les nénufars des bords,
faisaient sur l'eau des ombres finement dessinées, comme lavées au
pinceau, avec de l'encre de Chine. Une pluie chaude d'étoiles tombait
dans le bassin par l'étroite ouverture des feuillages. Le filet d'eau
coulait derrière Adeline, d'une voix plus basse et comme moqueuse.
Elle hasarda un coup d'oeil dans la grotte, elle vit l'Amour de plâtre qui
lui souriait d'un air d'intelligence.
--La lune, certainement, murmura le comte, pourtant en tournant le
dos...
--Non, non, mille fois non. Nous attendrons que la lune ne soit plus là....
Vous voyez, elle marche. Quand elle aura atteint cet arbre, nous serons
dans l'ombre....
--C'est qu'il y en a pour une bonne heure, avant qu'elle soit derrière cet
arbre!
--Oh! trois quarts d'heure au plus.... Ça ne fait rien. Nous attendrons....
Quand la lune sera derrière l'arbre, vous pourrez vous en
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