pleurait; elle se
rendormit bien vite et Favier continua sa toute dans cette nuit sinistre.
Le ciel était uniformément gris et bas; une grande tristesse semblait se
dégager de toutes choses, et le vent de minuit s’éleva tout à coup.
CHAPITRE II
LE LOUVETEAU MORT.
Il connaissait le chemin, par cœur, sans doute, même dans la forêt où il
pénétra après une heure et demie de marche et au centre de laquelle se
trouvait son habitation.
Il l’atteignit enfin: C’était une cabane de planches, mal construite et à
peine abritée du vent; il en poussa la porte d’un coup de pied; aussitôt
on entendit une sorte de hurlement dans l’ombre et le bruit d’un souffle
haletant.
"— Paix donc! louve du diable! grommela le braconnier; c’est ton
maître, ne le sens-tu donc plus, maintenant?"
Alors le hurlement se changea en un gémissement plaintif.
"Qu’est-ce qu’il y a donc, tonnerre!... s’écria l’homme en frottant une
allumette contre le bois graisseux d’une table.
Il fit de la lumière avec une chandelle de suif dont la lueur jaunâtre
éclaira d’un reflet terne le misérable logis.
En effet, bien misérable! le mobilier se composait d’une matelas de
feuilles sèches servant de lit, et garni d’une couverture sordide; d’une
table maculée de taches et tailladée de coups de couteau; d’une chaise
boiteuse et dépaillée et d’un mauvais buffet contenant quelque peu de
vaisselle ébréchée; au mur pendaient, accrochées à un clou des hardes
fripées.
L’homme se débarrassa de son fardeau qu’il déposa sur le lit de feuilles
sèches; aussitôt, dans l’obscurité, de dessous la table, rampa un long
corps velu qui s’approcha de la petite fille, et une tête noire se dressa à
côté de la tête dorée du pauvre baby. Le même renâclement, entendu à
l’arrivée de Favier, se fit entendre de nouveau.
Le braconnier se retourna:
"Paix donc encore une fois! Ah! ah! vous avez flairé du gibier, ma belle?
Ma foi! si le cœur t’en dit, louve du diable, tu peux en faire ton souper.
De fait, ce sera peut- être un débarras pour moi."
L’animal qui se dressa alors sur ses quatre pattes était une louve
gigantesque au poil noir et rude, à l’œil sanglant, aux dents aiguës et
blanches.
Mais, au lieu de profiter de l’invitation de son maître, elle poussa de
nouveau un gémissement et se mit à lécher doucement de sa langue
rugueuse le petit visage rose couché sur le matelas.
L’enfant pleura, sans doute elle avait faim.
"Et ton louveteau, louve du diable? reprit Favier en retirant du buffet un
verre, une bouteille, du pain et du lard."
La pauvre bête gémit plus fort; l’homme se baissa et retira de dessous
la table le corps raidi d’un petit loup de quelques semaines; l’animal
était mort; ses yeux étaient vitrés, ses membres froids.
"Tiens, fit le colosse étonné, je comprends pourquoi tu nous fais cette
mine, mais ne va pas, au moins, geindre toute la nuit, satanée bête, ça
m’embêterait."
Il prit le cadavre du louveteau qu’il alla jeter à une centaine de pas de la
cabane dans un trou où s’amoncelaient des détritus de toutes sortes.
En rentrant il aperçut la mère allongée près du matelas, sa tête noire sur
ses pattes velues; il la considéra un instant, puis, comme frappé d‘une
idée subite:
"Tiens, dit-il, essayons; ce serait drôle!"
Et il plaça la petite fille tout contre la bête qu’elle se mit à téter avec
vigueur.
La louve la laissait faire avec plaisir, et, la voyant à la fin rassasiée et
rendormie, se tient immobile, la réchauffant de son souffle puissant.
Favier se rapprocha alors de la table où vacillait la flamme triste de la
chandelle de suif, et il commença à manger.
Tout à coup, il s’aperçut que ses mains étaient rouges de sang.
"Tiens! fit-il sans sourciller, du sang."
Il se leva en sifflotant et alla se laver. Puis il s’installa commodément
cette fois et acheva son repas; il alluma ensuite sa pipe et compta l’or
qu’il avait gagné dans sa soirée.
"Cachons cela, dit-il après l’avoir serré dans une bourse de cuir, et
joignons-y la lettre trouvée sur la père de la mioche : je la porterai
demain à la Manon qui la lira et je saurai à quoi m’en tenir sur la
moucheronne."
Titubant, le visage congestionné, le colosse alla vers le coin le plus
reculé de la cabane et y fourragea quelques minutes dans l’ombre.
Puis il s’étendit sur le matelas, laissant l’innocente créature qu’il avait
faite orpheline, paisiblement endormie entre les pattes de la louve; la
chandelle à bout de mèche s’éteignit et la nuit épaisse enveloppa le
pauvre logis où l’on n’entendit plus que le bruit de trois respirations
différentes: le souffle à peine perceptible de l’enfant, celui puissant et
bruyant de la bête et enfin l’haleine entrecoupée de hoquets de
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