Italiens; à l’œuvre donc!
fouillons d’abord la voiture et les vêtements du brave homme qui vient
d’être touché."
Le corps du cocher, dépouillé des pièces de monnaie qu’il portait, fut
déposé à quelques pas sous les arbres de la forêt qui bordait le chemin;
puis, le cadavre du jeune étranger fut dévêtu et l’on retira de ses poches
l’or qu’elles contenaient.
Les bandits furent déçus: ils comptaient sur une forte somme et ils
avaient à peine cinq cent francs à se partager.
"— C’était bien la peine de courir le risque de la guillotine pour si peu!
grommelaient-ils en montrant le poing au mort."
On fouilla la voiture: elle ne contenait qu’une valise pleine d’effets et
un paquet assez volumineux que l’on prit pour une couverture de
voyage.
Mais lorsqu’un des scélérats s’en empara, ce paquet rendit un
vagissement étouffé.
"— Tiens! la couverture qui crie, à présent! s’exclama l’un des
cyniques larrons.
"— Un enfant! il y a un enfant! s’écrièrent-ils. En voilà une bonne!...
Celui-là ne sera au moins pas récalcitrant, ni difficile à exécuter, on n’a
qu’à serrer un peu le cou et..."
Un des Piémontais allait saisir la pauvre petite créature et nouer autour
de son cou ses gros doigts calleux, lorsque Favier intervint.
"— Attends, dit-il. Andréino vient de trouver une lettre dans le
portefeuille du défunt; sachons au moins ce que celui-ci était et s’il ne
possédait pas plus d’argent qu’il ne semble. Qui est-ce qui sait lire ici?
ajouta-t-il en élevant sa lanterne sourde dont le rayon blafard éclaira
une feuille blanche que dépliait Andréino.
"— Pas moi.
"— Ni moi.
"— Moi non plus.
"— Diable! et moi pas plus que vous, dit le colosse. Comment,
Andréino, tu ne peux pas nous tirer d’embarras? Je te croyais plus
érudit?
"— Moi foi, mon vieux, je sais un peu défricher l’imprimé, et encore
l’italien, mais ce grimoire-là, je sens que c’est pour moi lettre morte.
"— Bah! fit un autre, ça ne nous servirait peut-être à rien, tout ça c’est
des sentiments sans doute et pas autre chose. Ce qu’il y a de clair, c’est
que ce satané bourgeois n’était pas cossu. Nous avons cru dépister un
richissime seigneur et c’est nous qui sommes volés. Allons! reste
encore à tordre le cou à la pigeonne. Qui s’en charge?
"— Donne, dit le braconnier qui demeurait songeur. A présent que nous
avons partagé l’argent, partageons-nous la tâche: moi je pars avec la
mioche que j’arrangerai proprement là-bas dans quelque trou; Andréino
va prendre par la forêt avec le cheval et la voiture dont vous vous
déferez bien à la ville; je vous les abandonne; vous vendrez l’un à la
foire, et en repeignant l’autre nul n’y verra goutte; vous autres, ajouta-
t-il en désignant les deux Italiens qui semblaient l’écouter avec
déférence, enfouissez-moi habilement ces corps dans la terre.
"— Tu nous laisses le plus sale ouvrage, ripostèrent-ils, mécontents.
"— Alors je réclame ma part entière du butin, et croyez-vous
qu’Andréino ait la besogne la plus commode? Il risque d’être rencontré;
si on lui demande d’où il vient avec sa rosse et sa voiture!...
"— Va bene, va bene!" firent les bandits qui se mirent aussitôt à
creuser la fosse où devaient être ensevelis côte à côte le voyageur et le
cocher.
Sous un arbre, étaient cachés les instruments nécessaires à leur travail,
car les larrons avaient tout prévu, et ce ne devait être la première fois
que pareil ouvrage leur passait entre les mains.
Pendant ce temps, Andréino disparut sous bois avec le butin, et Favier
s’éloignait, prenant par la grande toute pour regagner sa misérable
demeure; il allait ainsi, trébuchant dans la nuit et serrant contre lui la
petite fille qui s’était rendormie paisiblement.
Il réfléchissait.
"Si je la jette à la rivière, se disait-il, cela peut me compromettre, la
rivière coule à deux pas de chez moi; on retrouverait le petit corps et
l’on pourrait reconnaître l’enfant du voyageur parti hier soir de
l’auberge du Coq Bleu; on ferait des recherches pour savoir ce qu’est
devenu le père, et alors... bonsoir la sécurité. Tonnerre!... J’aurais dû
laisser la moucheronne avec les autres! D’un côté, cependant, j’ai
empoché la lettre et ce n’est pas une mauvaise idée; je prierai la vieille
Manon de me la lire; elle comprend l’écriture, et c’est la seule personne
à laquelle je puisse me fier; elle a des raisons pour ne pas me trahir.
Donc j’apprendrai quelle est l’enfant, si elle n’a pas quelques parents
riches, et, un peu plus tard, en faisant un peu de chantage, on pourrait
gagner de l’argent avec ce moineau. Je combinerai un petit roman dans
lequel je m’attribuerai un beau rôle, et... enfin je verrai!"
L’homme eut un mauvais rire, berça maladroitement dans ses bras
noueux la petite fille qui s’était réveillée et qui
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