pour défendre l’enfant.
"Toi, va-t’en, fit le braconnier en lui allongeant un coup de pied."
Docile, la louve recula en grondant toujours, mais sans s’éloigner de la petite fille qui posa sa main maigre et fluette sur le poil rude de son amie.
"Qu’as-tu fait hier? demanda l’homme."
L’enfant le regarda avec ses grands yeux noirs farouches.
"— Ce que vous m’avez ordonné, répondit-elle brièvement.
"— Et que t’avais-je ordonné? parleras-tu, tonnerre du diable! est-ce que je vais me souvenir de cela, brute que tu es! rugit la colosse en levant son énorme poing sur la frêle fillette."
Un nouveau grondement l’arrêta. Alors il ouvrit la porte de la cabane, et, montrant le chemin à la louve:
"En chasse, toi, il n’y a rien à souper."
La louve obéit après avoir passé sa grande langue rose sur le petit bras nu de l’enfant.
Alors celle-ci frémit en se voyant face à face avec l’homme qui la meurtrissait de coups chaque jour, et privée de l’unique défenseur que le ciel lui e?t accordé.
Comme pour adoucir le misérable qui la regardait avec colère et mépris elle s’empressa de dire:
"— J’ai lavé le linge, nettoyé la vaisselle, balayé la maison, recousu le matelas, fait cuire la soupe, aidé Rose...
"— Et tu t’es amusée ensuite, naturellement, fainéante, propre à rien.
"— Je n’en ai pas eu le temps, murmura la petite fille.
"— Je ne te crois pas, tu n’ouvres la bouche que pour dire des mensonges."
L’enfant redressa sa taille exigu?, et indignée:
"— Je ne mens jamais."
L’homme se retourna:
"— Te tairas-tu, tonnerre du diable! Je crois, ma parole, que ?a se permet de raisonner. Et que fais-tu là à me regarder avec tes grands yeux idiots.
"— J’attends que vous me disiez ce que je dois faire.
"— Ce que tu dois faire? je te le dirai tout à l’heure; pour le moment ?te-moi mes bottes; je suis fatigué et elles sont toutes mouillées. Allons, tire."
Le colosse se laissa tomber sur l’unique chaise du logis, qui craqua sous son poids, et l’air goguenard, la pipe aux dents et les bras croisés, tendit ses deux jambes à "la Moucheronne."
La Moucheronne s’agenouilla sur le sol nu et se mit en devoir de tirer les bottes; mais, quelques efforts qu’elle f?t, elle ne put; ses petits doigts n’avaient pas la vigueur nécessaire pour ce rude travail, ses ongles s’éraflaient sur le cuir maculé de boue et ses bras menus s’épuisaient.
Elle y mettait pourtant toute la bonne volonté possible; la sueur ruisselait sur sa figure, collant ses cheveux aux tempes, et ses dents blanches s’enfon?aient dans sa lèvre rouge tandis que sa petite poitrine haletait.
"— Je ne peux pas, murmura-t-elle timidement après quelques minutes d’essais infructueux.
"— Ah! tu ne peux pas? Ote-moi mes bottes, dit tranquillement l’homme sans enlever sa pipe de ses lèvres lippues."
La Moucheronne recommen?a, redoublant d’efforts, mais sans plus de succès.
"— Je ne pourrai jamais! répéta-t-elle."
Pour toute réponse Favier, le colosse fort comme un taureau, lui lan?a un tel coup de pied dans l’estomac que la petite fille alla rouler à l’autre extrémité de la cabane; le sang lui sortait de la bouche et sa tête porta si rudement contre le mur qu’à son front s’ouvrit une large fente. Elle demeura évanouie.
L’homme poussa un juron énergique, se leva, éloigna le petit corps du bout de sa botte, parce qu’il gênait son passage, et sortit sans refermer la porte.
Au dehors, il faisait clair et gai; on était au printemps; le soleil piquait de rayons d’or capricieux les ombrages touffus de la forêt; le ruisseau babillait plus loin; la mousse fra?che recouvrait le sol; l’air était tiède et parfumé; les oiseaux chantaient, les lièvres et les lapins s’ébattaient joyeusement dans la clairière.
Pendant une heure une paix délicieuse, toute faite d’harmonies et de parfums, enveloppa le bois; puis, tout se tut comme par enchantement; les jolies bêtes effarouchées disparurent en un clin d’?il, les oiseaux se cachèrent; sur le velours foncé des gazons un énorme animal marchait sans bruit; une ombre gigantesque interceptait par places les rayons du soleil; c’était la louve qui rentrait, tra?nant après elle le fruit de sa chasse ou de sa maraude: une grosse lapine déjà morte et un mouton à demi égorgé.
Mais avant d’arriver à la cabane de Favier, elle huma l’air, poussa un sourd grondement, et, lachant sa proie qui retomba sur le sol, elle se précipita dans le logis ouvert.
L’enfant y était toujours privée de sentiment. L’animal gémit douloureusement, s’approcha d’elle et lécha la plaie de son front.
Alors la Moucheronne ouvrit les yeux, de grands yeux pleins d’angoisse et de terreur, mais, apercevant la bête qui lui prodiguait les caresses et les soins, elle murmura faiblement :
"Nounou!" Puis, sans se soucier du sang qui coulait sur son visage, elle passa ses petits bras autour du cou de la louve et pleura amèrement.
"Nounou, pauvre Nounou, répétait-elle, nous sommes bien malheureuses, du moins, pas toi, car il
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