une cabane de planches, mal construite et à peine abritée du vent; il en poussa la porte d’un coup de pied; aussit?t on entendit une sorte de hurlement dans l’ombre et le bruit d’un souffle haletant.
"— Paix donc! louve du diable! grommela le braconnier; c’est ton ma?tre, ne le sens-tu donc plus, maintenant?"
Alors le hurlement se changea en un gémissement plaintif.
"Qu’est-ce qu’il y a donc, tonnerre!... s’écria l’homme en frottant une allumette contre le bois graisseux d’une table.
Il fit de la lumière avec une chandelle de suif dont la lueur jaunatre éclaira d’un reflet terne le misérable logis.
En effet, bien misérable! le mobilier se composait d’une matelas de feuilles sèches servant de lit, et garni d’une couverture sordide; d’une table maculée de taches et tailladée de coups de couteau; d’une chaise boiteuse et dépaillée et d’un mauvais buffet contenant quelque peu de vaisselle ébréchée; au mur pendaient, accrochées à un clou des hardes fripées.
L’homme se débarrassa de son fardeau qu’il déposa sur le lit de feuilles sèches; aussit?t, dans l’obscurité, de dessous la table, rampa un long corps velu qui s’approcha de la petite fille, et une tête noire se dressa à c?té de la tête dorée du pauvre baby. Le même renaclement, entendu à l’arrivée de Favier, se fit entendre de nouveau.
Le braconnier se retourna:
"Paix donc encore une fois! Ah! ah! vous avez flairé du gibier, ma belle? Ma foi! si le c?ur t’en dit, louve du diable, tu peux en faire ton souper. De fait, ce sera peut- être un débarras pour moi."
L’animal qui se dressa alors sur ses quatre pattes était une louve gigantesque au poil noir et rude, à l’?il sanglant, aux dents aigu?s et blanches.
Mais, au lieu de profiter de l’invitation de son ma?tre, elle poussa de nouveau un gémissement et se mit à lécher doucement de sa langue rugueuse le petit visage rose couché sur le matelas.
L’enfant pleura, sans doute elle avait faim.
"Et ton louveteau, louve du diable? reprit Favier en retirant du buffet un verre, une bouteille, du pain et du lard."
La pauvre bête gémit plus fort; l’homme se baissa et retira de dessous la table le corps raidi d’un petit loup de quelques semaines; l’animal était mort; ses yeux étaient vitrés, ses membres froids.
"Tiens, fit le colosse étonné, je comprends pourquoi tu nous fais cette mine, mais ne va pas, au moins, geindre toute la nuit, satanée bête, ?a m’embêterait."
Il prit le cadavre du louveteau qu’il alla jeter à une centaine de pas de la cabane dans un trou où s’amoncelaient des détritus de toutes sortes.
En rentrant il aper?ut la mère allongée près du matelas, sa tête noire sur ses pattes velues; il la considéra un instant, puis, comme frappé d‘une idée subite:
"Tiens, dit-il, essayons; ce serait dr?le!"
Et il pla?a la petite fille tout contre la bête qu’elle se mit à téter avec vigueur.
La louve la laissait faire avec plaisir, et, la voyant à la fin rassasiée et rendormie, se tient immobile, la réchauffant de son souffle puissant.
Favier se rapprocha alors de la table où vacillait la flamme triste de la chandelle de suif, et il commen?a à manger.
Tout à coup, il s’aper?ut que ses mains étaient rouges de sang.
"Tiens! fit-il sans sourciller, du sang."
Il se leva en sifflotant et alla se laver. Puis il s’installa commodément cette fois et acheva son repas; il alluma ensuite sa pipe et compta l’or qu’il avait gagné dans sa soirée.
"Cachons cela, dit-il après l’avoir serré dans une bourse de cuir, et joignons-y la lettre trouvée sur la père de la mioche : je la porterai demain à la Manon qui la lira et je saurai à quoi m’en tenir sur la moucheronne."
Titubant, le visage congestionné, le colosse alla vers le coin le plus reculé de la cabane et y fourragea quelques minutes dans l’ombre.
Puis il s’étendit sur le matelas, laissant l’innocente créature qu’il avait faite orpheline, paisiblement endormie entre les pattes de la louve; la chandelle à bout de mèche s’éteignit et la nuit épaisse enveloppa le pauvre logis où l’on n’entendit plus que le bruit de trois respirations différentes: le souffle à peine perceptible de l’enfant, celui puissant et bruyant de la bête et enfin l’haleine entrecoupée de hoquets de l’ivrogne vautré sur la paille.
CHAPITRE III
LE COUP DE BOTTE.
"Nounou! ici Nounou! cria une voix rude."
L‘animal releva sa tête velue, coucha les oreilles en grondant et ne bougea pas.
"Moucheronne! ici Moucheronne! ici tout de suite!"
Alors une petite masse confuse sortit de derrière la louve: c’était une fillette brune et maigre, au teint halé, aux cheveux en broussailles dont les boucles de jais retombaient jusque sur ses sourcils. Elle pouvait avoir sept ans; son petit visage mince et bronzé exprimait une profonde terreur.
Mais aussit?t la bête que l’homme appelait Nounou vint se placer à c?té d’elle et montra une rangée de dents aigu?s et blanches, comme
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