n’ose pas te battre, tu saurais te défendre; mais moi, dès que tu n’es plus là, je suis rouée de coups, et maintenant j’ai bien mal là... et là; fit-elle en portant la main à sa poitrine et à son front."
La louve continuait à lécher tendrement l’enfant qu’elle aimait et qu’elle avait nourrie de son lait, paraissant écouter ces paroles na?ves, et comme si elle les e?t comprises et qu’elle e?t pris une résolution soudaine, elle se leva et, s’arc-boutant sur ses quatre jambes, sembla attendre quelque chose.
Sans doute que la Moucheronne devina sa pensée, car elle se leva à son tour, mais avec peine, sa faiblesse étant extrême, et elle s’installa commodément sur le dos de l’intelligent animal.
Nounou qui était robuste et qui avait sans doute porté souvent l’enfant de cette manière, se mit en marche aussit?t pour traverser la forêt, allant doucement, car la petite blessée ne se soutenait qu’avec peine; la brave bête s’arrêta un instant près du ruisseau et la pauvrette put y étancher sa soif ardente.
Après trois quarts d’heure de marche, environ, on put apercevoir le toit rustique d’une cabane semblable à celle de Favier; lorsqu’elle y fut arrivée, la louve gratta à la porte qui s’ouvrit aussit?t.
Il était temps car la petite fille ne pouvait plus se tenir, même couchée sur le dos de la bête, et sa tête vacillait de gauche à droite et de droite à gauche comme si elle e?t été près de défaillir de nouveau.
Celle qui parut alors sur le seuil du logis était une femme très vieille appuyée sur un baton; son front était couvert d’un bonnet de laine noire sans ornements, sa robe était pauvre et usée mais propre; ses pieds chaussés de sabots; son nez touchait presque son menton; mais quoique son visage, traversé de mille rides entrecroisées, lui fit donner au moins quatre-vingts ans, ses yeux étaient vifs et per?ants.
"— Quoi? C’est Nounou! fit-elle sans para?tre s’étonner de voir à sa porte cette bête de taille gigantesque; et voilà une gentille enfant, ajouta-t-elle en avan?ant ses mains tremblantes vers la fillette. Mais, Dieu me pardonne, elle est malade, elle est blessée même."
Et avec une vigueur qu’on n’aurait pas d? attendre de ce vieux corps recroquevillé, elle porta presque la petite fille qui n’avait plus conscience de rien, et, suivie de la louve, elle entra avec elle dans la cabane.
Là elle s’assit sur un escabeau et examina le front de la blessée.
"Une chute, murmura-t-elle, et encore, que sait-on? C’est la Moucheronne, la petite à Favier; déjà si grande?... Est-il possible qu’il y ait huit ans que le braconnier m’a apporté la lettre... cette fameuse lettre que je n’ai pas pu lire parce que je ne lis que le fran?ais et qu’elle était écrite dans une langue inconnue; l’anglais peut-être. Quel dommage! je saurais au moins ce qu’est l’enfant et s’il n’y aurait pas moyen de la retirer à cet homme. Car, il n’y a pas à dire, ce Favier n’élève pas la petite sur des roses, je le connais... Qui sait si cette plaie béante n’est pas due à la brutalité du braconnier. Voyons si elle ne serait pas blessée ailleurs."
La vieille femme dégrafa le corsage ou plut?t le haillon qui servait de robe à la fillette, et découvrit un petit buste ravissant, taillé merveilleusement comme dans un morceau d’ivoire, mais sur la peau aux reflets bronzés se voyait ?à et là la trace d’une meurtrissure, marques bleues provenant de coups anciens ou nouveaux; et enfin sur la poitrine l’empreinte rouge d’un talon de botte demeurait toute fra?che imprimée.
"Oh! le brutal, le monstre! murmura la vieille femme indignée."
Et des larmes montèrent à ses vieux yeux qui avaient pourtant beaucoup pleuré déjà, car c’est toujours chose infiniment triste qu’un être faible et sans défense soit maltraité et rudoyé par un autre être robuste et dominateur.
Manon déposa la fillette sur un lit maigre, mais certainement plus confortable que la paillasse de Favier, et alla chercher dans un buffet un flacon rempli d’une liqueur jaunatre dont elle fit glisser quelques gouttes entre les dents serrées de la mignonne.
Cela fait, elle retira du bahut un paquet de toile coupée en bandes et un petit pot d’onguent dont elle enduisait le front troué qu’elle entoura ensuite d’un linge blanc.
L’enfant sembla ressentir aussit?t un inexprimable soulagement; ses grands yeux noirs s’ouvrirent languissamment et rencontrèrent le visage laid mais bon de la vieille solitaire.
"Ne dis rien, mignonne, repose-toi, ce ne sera rien."
Mais au lieu d’obéir, la fillette murmura faiblement:
"— Qui êtes-vous?
"— Une amie.
"— Qu’est-ce que c’est, une amie? fit la Moucheronne étonnée.
"— Quelqu’un qui t’aime et qui te veut du bien.
"— Quelqu’un qui m’aime? reprit l’enfant avec un sourire amer sur ses petites lèvres décolorées; il n’y a que Nounou."
Et, à ce souvenir, prise d’un vague effroi, elle souleva sa tête endolorie.
"Nounou! Nounou! Où
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