refusée par l'injustice et les préjugés. Nous
devons à Castra toute notre reconnaissance, et la meilleure manière de
nous acquitter de notre dette envers lui, c'est de conserver
précieusement sa composition si patriotique. En voici le texte dans son
entier, tel qu'il existe dans les cahiers de nos familles:
LA CAMPAGNE DE 1814-15
Je me souviens qu'un jour, dans mon enfance, Un beau matin, ma mère,
en soupirant, Me dit: "Enfant, emblème d'innocence, Tu ne sais pas
l'avenir qui t'attend. Sous ce beau ciel tu crois voir ta patrie: De ton
erreur, reviens, mon tendre fils, Et crois surtout en ta mère chérie... Ici,
tu n'es qu'un objet de mépris."
Dix ans après, sur nos vastes frontières, On entendit le canon des
Anglais, Et puis ces mots: "Courons vaincre, mes frères, Nous sommes
tous nés du sang Louisianais". À ces doux mots, en embrassant ma
mère, Je vous suivis en répétant vos cris, Ne pensant pas, dans ma
course guerrière, Que je n'étais qu'un objet de mépris.
En arrivant sur le champ de bataille, Je combattis comme un brave
guerrier: Ni les boulets non plus que la mitraille, Jamais, jamais, ne
purent m'effrayer. Je me battais avec cette vaillance Dans l'espoir seul
de servir mon pays, Ne pensant pas que pour ma récompense, Je ne
serais qu'un objet de mépris.
Après avoir remporté la victoire, Dans ce terrible et glorieux combat,
Vous m'avez tous, dans vos coupes, fait boire. En m'appelant un
valeureux soldat. Moi, sans regret, avec un coeur sincère, Hélas! j'ai bu,
vous croyant mes amis, Ne pensant pas, dans ma joie éphémère, Que je
n'étais qu'un objet de mépris.
Mais, aujourd'hui tristement je soupire, Car j'aperçois en vous un
changement; Je ne vois plus ce gracieux sourire Qui se montrait,
autrefois, si souvent, Avec éclat sur vos mielleuses bouches.
Devenez-vous pour moi des ennemis?... Ah! je le vois dans vos regards
farouches Je ne suis plus qu'un objet de mépris.
Quelques Créoles de bonne foi voudraient attribuer ces vers à la plume
de Nicol Riquet, un de nos poètes des Cenelles, mais nous n'avons
aucune raison de croire que semblable source ait pu produire une
composition aussi gravement conçue.
M. Riquet nous a laissé le Rondeau Redoublé, un morceau farci de
puérilités. D'après toute apparence, ce poète avait le style enjoué, plus
enclin à faire rire qu'à faire penser. Il était lui-même un de ces
"satisfaits" dont le caractère était de s'éloigner des soucis, pour être
mieux préparé à jouir des plaisirs de la vie matérielle. Il est donc
invraisemblable de lui attribuer la pièce que nous venons de citer.
=HIPPOLYTE CASTRA=
D'ailleurs, les hommes qui ont connu Hippolyte Castra et qui ont pris
connaissance de son oeuvre affirment que c'est ce grand Louisianais qui
nous a fait don de cette composition noble et sérieuse. Il est vraiment
regrettable que cette dernière n'ait pas trouvé sa place dans le cadre des
Cenelles. Cette production valait la peine d'être conservée comme
l'expression vraie, digne et tendre d'un peuple désappointé d'une façon
aussi cruelle qu'inattendue.
Il n'y a rien de plus naturel que le début par lequel l'auteur rappelle la
prophétie de sa mère: "Sous ce beau ciel tu crois voir ta patrie". Nos
coeurs sentent bien l'à-propos de ces paroles touchantes.
Et puis, parlant des souvenirs de son enfance, avec quelle sublime
naïveté il rapporte ces mots qu'il avait entendus: "Courons vaincre, mes
frères!" Oh! n'est-ce pas ce que nous avons entendu en 1861, en 1865,
en 1898, et ce que nous entendons encore dans les moments difficiles?
Nous sommes tous frères quand le danger nous menace, mais nous
devenons des ennemis au retour de la sécurité.
Écoutez Castra dans le troisième couplet:
"Je combattis comme un brave guerrier".
On le dit dans toutes les histoires, et malgré le fait constaté, il n'y a pas
de récompense pour les services ni pour le courage du héros de couleur.
Mais ce n'était pas tout. Le combat était terrible, et il a "remporté la
victoire".
Castra a eu le talent d'établir ses titres en faisant connaître ses succès.
Mais la reconnaissance du pays s'est bornée à lui dire qu'il était un
"valeureux soldat" et à le faire boire dans les coupes de la victoire.
Tout-à-coup, tristement il soupire, parce qu'il s'aperçoit d'un
"changement". Il ne rencontre que des "regards farouches" et se voit
devenu un "objet de mépris": c'est la récompense de ses triomphes et de
ses sacrifices.
Il n'y a pas à douter de la valeur de cette pièce.
Castra a chanté l'infortune de ses compatriotes, et ses strophes
pathétiques seront toujours pour nous un sujet palpitant à cause des
grandes circonstances qui les ont dictées, à cause surtout des profondes
amertumes qui les ont inspirées. Le sort d'Ogé et de l'Ouverture attire
plus l'attention que la couleur de leur front

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