Nicolas Foucquet, surintendant des finances | Page 6

Arthur de Marsy
l'exaspération du souverain.
Impromptu de Molière, festin superbe servi dans une argenterie des
plus luxueuses et dans laquelle on remarqua un sucrier en or (ce que le
Roi ne possédait pas), feu d'artifice composé d'une nuée de fusées et de
serpenteaux, rien ne manqua à cette fête, pendant laquelle couvait
l'orage qui ne devait pas tarder à éclater.
En effet, à la fin d'août, Louis XIV partait pour Nantes où il devait tenir
les États de Bretagne; Le Tellier, Colbert, Foucquet et Lionne
l'accompagnaient. L'arrestation du surintendant était décidée et, au
lendemain du jour où il obtenait des États de Bretagne un don gratuit de
trois millions pour le Roi, D'Artagnan, porteur d'ordres signés de Le
Tellier, l'arrêtait sur la place de la Cathédrale. Ses papiers étaient saisis
à la fois à Paris, à Vaux, à Saint-Mandé, chez ses amis, sa caisse
ouverte (mais elle ne renfermait pas un sou vaillant), sa femme exilée à
Limoges, et ses enfants quasi jetés sur le pavé, sans la pitié de M. de
Brancas.
Huit jours plus tard, la surintendance était supprimée et remplacée par
un conseil des finances, une Chambre de Justice était établie le 15
novembre avec mission de poursuivre les abus et malversations
commises dans les finances depuis 1635. Elle devait rechercher et punir
aussi «tous les crimes et délits commis à l'occasion d'icelles par
quelques personnes et de quelque qualité qu'elles soient». Denis Talon
était désigné pour y remplir les fonctions de procureur général et le

chancelier Séguier celles de président. Des magistrats, triés sur le volet
dans les divers parlements et dans d'autres juridictions, étaient choisis
pour la composer.
Foucquet, transféré d'abord à Angers, puis à Amboise, était prisonnier à
Vincennes, soumis au secret le plus absolu, privé de papier, d'encre et
de livres. En trois mois ses cheveux naguères bruns avaient
complètement blanchi.
Pendant six mois, on ne lui notifie aucun acte de procédure; à ce
moment seulement on lui fait subir un premier interrogatoire de forme,
dont on refuse de lui laisser copie.
Nous ne pouvons suivre par le menu toute cette procédure, qui ne dure
pas moins de trois ans et dans laquelle Foucquet trouve réponse à toutes
les questions, prépare une défense qui ne comprend pas moins de seize
volumes et qu'il rédige sans notes, sans documents avec ses seuls
souvenirs, récusant le chancelier, s'inscrivant en faux contre les
procès-verbaux, argumentant contre Chamillart, nommé procureur
général à la place de Talon et lui reprochant tantôt de ne pas lui faire
voir sa commission, tantôt d'ignorer l'orthographe. Quelques lignes de
cet interrogatoire sont curieuses à rapporter. «Le Roi, dit Chamillart ne
m'a choisi que pour faire justice.--Soit, réplique l'accusé, mais je ne suis
pas persuadé que ce changement ait été fait pour mon plaisir. C'est
assez que mes ennemis vous aient choisi pour motiver quelque
suspicion.--Et, à ces mots de Chamillart, qui, précédemment était
chargé de poursuivre la réformation des abus des maîtres des eaux et
forêts, Monsieur, je travaillais dans la forêt de Compiègne, quand le
Roi m'a nommé sans entremise de personne.--Foucquet, faisant allusion
aux récents actes de brigandage qui avaient été commis dans nos
environs, termine l'entretien en lui disant: Ce mot de forêt m'est suspect,
il suffit à désigner qui vous a mis en votre place.»
Pendant que s'instruisait le procès de Foucquet, quelques autres affaires
étaient soumises à la Chambre de Justice. Dans le nombre, il en est une
qui concerne des personnages de notre pays et qu'à ce titre nous
résumerons en quelques lignes:

«On détenait dans les prisons de Paris, dit M. Lair, un homme appelé
Dumont, ancien receveur des tailles à Crépy (en Valois). Arrêté en
décembre 1662, il avait été en janvier 1663 jugé et condamné à mort,
pour crime de péculat, par un de ces sous-commissaires qui
remplaçaient en province la Chambre de Justice. Celui-là se nommait
Charmolue, trésorier de France à Soissons, homme non gradué et
assisté, pour la forme, d'un juge choisi par lui. L'affaire était depuis lors
en appel devant le Parlement. Si l'on parvenait à faire confirmer la
sentence, quel préjugé contre Foucquet!»
Sans entrer dans les détails du procès, auquel nous fait assister notre
auteur, faisant connaître et l'interrogatoire de l'accusé et l'opinion des
juges, qu'il nous suffise de dire que Dumont fut condamné, par treize
voix contre huit, «pour crime de péculat et de concussion à être
étranglé.» Le soir même, une potence était dressée au carrefour de la
Bastille et on y pendait ce malheureux. «Le receveur des tailles de
Crépy avait été pris comme un mannequin qu'on voulait balancer à la
potence devant les fenêtres de la prison de Foucquet.»
Au bout de ces trois années, le procès du surintendant était terminé,
l'instruction, les interrogatoires, les rapports étaient achevés, les
délibérations durèrent cinq jours, pendant lesquels les avis les
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